Le Carbonifère :
Un moment dans la vie d'un mineur
La mine et ses installations de surface : la partie visible de l'iceberg car en dessous ce n'est qu'un dédale de galeries.
Dessin L.V.B.Le charbon dans sa réalité matérielle, objet de toutes les convoitises des 18ème, 19ème et 20ème siècle...
Tant de sueur, de larmes et de sang pour ces quelques cailloux noirs...
Entrée
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Recherches annexes
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Le Carbonifère |
1. Le Carbonifère 1.1. Etymologie et définition 1.2. Caractéristiques du Carbonifère 2. Les paysages du Carbonifère 2.1. Orogénie 3. La Belgique productrice de minerais |
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Le Carbonifère inférieur : Viséen - Tournaisien |
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Le Carbonifère supérieur : Westphalien - Stéphanien |
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L'exploitation minière du Charbon (1)
6. L'exploitation du charbon |
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L'exploitation minière du charbon (2)
7. L'exploitation du charbon L'exploitation minière du charbon (3)
8. Quelques thèmes pour continuer le tableau L'exploitation minière du charbon (4)
9. Les systèmes d'éclairage L'exploitation minière du charbon (5)
10. Les accidents miniers Le Peuple de la Mine (1)
11. Il était une fois le peuple de la mine 12. Quelques semaines, en compagnie d'un mineur
et de sa famille
12.1. Au petit matin
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12. Quelques semaines, en compagnie d'un mineur et de sa famille
12.1. Au petit matin
12.2. Le départ vers la mine
12.3. Arrivé au puits, Jules se prépare
12.4. La descente aux enfers
12.5. Au travail
12.6. La chaleur
12.7. On étouffe, ici !
12.8. Le briquet au fond
12.9. Toujours surveillés
12.10. Pendant ce temps-là...
12.11. Fin de journée...
12.12. Retour à la maison
12.13. Au jardin.
12.14. Le souper
12.15. Tu seras mineur, mon fils !
12.16. L'accident
12.17. Le dimanche et la ducasse
12.18. Et pour finir...12. Quelques semaines, en compagnie d'un mineur et de sa famille.
Il est bien tôt. Le jour n'est pas encore levé. Le vieux réveil sonne en bringuebalant. Elvire et Jules se lèvent. Les enfants dorment encore. Pendant que Jules s'habille, Elvire lui prépare le petit déjeuner : quelques tranches de pain tartinées de saindoux et de confiture avec un tasse de café chaud. Pendant que Jules avale son petit déjeuner, Elvire lui prépare son briquet : quelques tartines de saindoux et un boutelot (bidon en aluminium servant de gourde) de café. Elle glisse le tout dans sa musette.
Il s'agit de la fameuse musette en toile textile écrue qui contenait le fameux "briquet" ou simplement le déjeuner ainsi que la gourde en aluminium, autrement dite "boutelot" qu'emportait le mineur dans les chantiers du fond.
Ce modèle date des années 1940.
Les musettes étaient très solides, les coutures et piqures de lin étaient renforcées par des rivets d'acier, comme en atteste cette photo.
De nos jours, les anciennes musettes de mineur se font de plus en plus rares sur les brocantes et demeurent très prisées des collectionneurs du thème.Jules ne veut pas être en retard. Il est un peu pressé car il a peur de rater la cage qui l'amènera au fond. S'il la rate, il sera à l'amende et perdra le salaire de sa journée. Déjà qu'il ne gagne pas tripette... faudrait pas qu'il perde en plus une journée... Et avec Théophile, le nouveau porion qu'on a assigné à l'équipe de Jules, ça n'arrange rien. Il est toujours sur leur dos, les réprimandant pour tout et rien, chronométrant le temps qu'ils mettent pour exécuter un travail, observant tout, surveillant tout, poussant l'équipe à travailler plus, plus fort, plus vite, les invectivant pour un rien, notant tout dans son carnet et si ça ne va pas comme il veut, il leur met "un cinquième" c'est à dire une amende équivalant à un cinquième de la paie de la journée. Ce nouveau porion, c'est pas "Pépère", le vieux porion qui était là avant. Il a pris sa retraite. Lui, il comprenait le travail, la dureté, la pénibilité du travail. Il était coulant, il ne regardait pas à 5 minutes lors de la pose. Fallait pas déconner, ni trop en profiter, ni exagérer, mais il était arrangeant avec les règles les plus strictes, pour autant qu'elles ne mettaient pas la sécurité du groupe en jeu.
Jules est prêt à partir. Il sait que son métier est très dangereux. Un monde hors du commun, une vie d’émotions où l’anxiété est compagne de tous les instants. Il sait quand il part, mais il ne sait pas quand il reviendra, ni même s'il reviendra. Dans la mine, tout est possible. La question se pose chaque jour, dans un quotidien construit d’imprévus d’où sont exclus les habitudes, le train-train et les certitudes. Alors, jamais Jules ne s'en va sans avoir embrassé ses enfants.
Les enfants se sont levés. Les plus grands aident les plus petits à s'habiller et tous viennent vite embrasser leur père avant de prendre leur petit déjeuner.
Émouvante photo d'un mineur embrassant sa petite fille avant son départ pour la mine.
Deux autres gueules noires en arrière plan, ayant terminé leur poste de travail, prennent spontanément la pose sur ce cliché.Jules se presse. Tout le monde pense que c'est très bon ouvrier, il n'a pas envie de passer pour un paresseux. Il quitte prestement sa petite famille, embrasse son épouse et s'en va vers la mine.
Elvire prendra son petit déjeuner avec les enfants. Les plus vieux s'en iront au travail et les autres à l'école.
Il passe dans le coron et rencontre ses camarades qui partent pour la même pause que lui tandis que d'autres rentrent. Ils iront ensemble au boulot. C'est mieux ensemble que tout seul... ça donne du courage.
Ils filent, tous ensemble en discutant, en se racontant des blagues, en essayant de ne pas penser au fond. Ils passent devant le terril et suivent le sillage d'une trentaine d'autres mineurs.
Faut pas être en retard car Jules tient à sa quinzaine. C'est bientôt la Sainte Barbe. La semaine prochaine, il va faire des longues coupes : il doublera son poste pour avoir des doubles quinzaines pour bien faire la fête. Là, clairement, il va falloir mettre le paquet et tirer à fond dans la veine de charbon qu'il suit déjà depuis quelques semaines. Ca ne lui fait pas peur, parce que Jules est un courageux.
Il a froid. Ça fait un bon moment qu'il marche avec ses collègues dans le matin frisquet …
Dans ce paysage trop connu pour être emprunté chaque jour, Jules a l'impression d'être aveugle. Il ne distingue que peu de choses : une palissade, quelques murs de grosses planches fermant une voie ferrée, un talus d’herbe à gauche, surmonté d’un pignon et les toitures. Paysage banal du coron. Le coron... un alignement triste et morne de maisons. En longue file, deux rangs de maisons collées dos à dos. Un petit trottoir de briques. De l’autre côté de la rue des jardins cultivés, plantés d’arbustes maigres noircis par les poussières de charbon. Des puits communs, des lieux communs… pas de séparations, quelques clôtures… Traînant ici et là quelques vieux baquets et vieux ustensiles crasseux.
Il pleut. Les pieds des mineurs s’enfoncent dans le sol boueux du coron. Ils marchent encore et encore devant des petites bâtisses toutes semblables.
Soudain, un spectacle toujours identique mais chaque jour nouveau accroche son regard : la masse lourde de la fosse apparaît, un tas écrasé de constructions, de bâtiments de bois et de briques d’où se dresse, dans l’ombre du matin, une cheminée d’usine. Quelques fenêtres pleines de crasse, cinq ou six lanternes accrochées à des charpentes noircies, le beffroi couvert d'ardoises. Au fur et à mesure que les mineurs s'approchent de la mine, ils voient la grande cheminée d'un rouge pâle, grandir devant eux et les panaches de fumée noire couvrir le ciel. Les râles de la machine à vapeur qui s'époumone se font de plus en plus graves et profonds. Ces machines, nécessitant un entretien conséquent étaient très bruyantes. On les entendaient ronfler au delà d'un rayon d'un kilomètre autour du puits. Les cliquetis qu'ils percevaient à peine il y a 10 minutes sont devenus des bruits assourdissants de ferrailles qui s'entrechoquent. En s'approchant d'une mine en action, les plus incrédules pourraient croire qu'un dragon est tapis au fond d'un trou, prêt à dévorer tous ceux qui s'en approchent.
Jules et ses collègues viennent d'arriver sur le carreau. Chaque jour, c'est pareil : il ne se l'imagine pas si large. D'un coup d'œil circulaire, il embrasse tous les bâtiments "du jour". Il retrouve, comme chaque jour, chaque partie de la fosse : le hangar goudronné du criblage, le chevalement du puits, la vaste chambre de la machine d'extraction, la tourelle carrée de la pompe d'exhaure, le stock de charbon, hérissé des hauts chevalets qui portent les rails des passerelles, encombré dans un coin de la provision des bois, pareille à la moisson d'une forêt fauchée. Vers la droite, le terril barre la vue, colossal comme une barricade de géants, déjà couvert d'herbe dans sa partie ancienne, consumé à l'autre bout par un feu intérieur qui brûle depuis un an, avec une fumée épaisse, en laissant à la surface, au milieu du gris blafard des schistes et des grès, de longues traînées de rouille. Et puis toute la poussière volante de la houille qui s'échappe de la fosse et s'abat sur la plaine, poudrant les arbres, sablant les routes, ensemençant la terre. Cette fosse, tassée au fond d'un creux, avec ses constructions trapues de briques et de bois, dressant sa cheminée comme une corne menaçante, lui semble avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là pour manger le monde.
Mais, lui, c'est au fond qu'il travaille.
Salle des pendus
Jules passe à la salle des pendus. Cette immense salle, bien connue de nos infrastructures minières, servait à la fois de vestiaire et de salle de bains douches collectifs.
Jules accroche ses vêtements de ville trempés par la pluie à un crochet à 4 patères avec au centre une cuvette destinée à recevoir le savon.
Le tout était hissé au plafond au moyen d'une chaine numérotée coulissant sur un réa, qui était accrochée aux bancs de la salle de bains.
Il enfile ses vêtements de travail.Le costume du mineur est des plus simples : un pantalon et une veste de grosse toile blanche, maintenus au corps par une grosse ceinture de cuir, un serre-tête en toile et une barrette en fort cuir en guise de casque protège tête; à cette barrette est adapté un tuyau dans lequel on fixe la lampe.
Barrette (appelée en Belgique "calotte" ou "calot") et astiquette
Mais aujourd'hui, les astiquettes sont interdites. Depuis la catastrophe de Courrières, les mineurs sont obligés d'utiliser des lampes de sécurité.
Lampe Marsault à huile.
Jules, lui, est un abatteur, c'est à dire qu'il travaille à la veine, à la coupe du charbon. Son travail consiste à arracher le charbon à la veine. Dans son équipe, il y a des bouteurs qu'on appelle aussi des chargeurs. Ils déplacent à grands coups de pelle le charbon extrait par Jules afin que le chantier soit aussi propre que possible. Le charbon déplacé est chargé dans les berlines que les hiercheurs poussent vers l'envoyage. Dans son équipe, il y a aussi des boiseurs qui préparent et installent les étançons en bois de sapin. Ces étais sont apportés sur le chantier par des galibots. Il y a aussi des ouvriers de la coupe à terre. Ces derniers préparent le travail de Jules en dégageant le plus de terres et roches stériles. De cette manière, un grand pourcentage de ce que Jules produira est du bon charbon. En surface, le triage des berlines de l'équipe sera facile et bien peu de matières seront emportées au terril. Plus le travail est productif, plus l'équipe percevra un bon salaire.
Pendant ce temps, d'autres ouvriers font les explorations, poussent les galeries dans les diverses directions, ou approfondissent et entretiennent les puits.
Mais revenons à Jules qui est arrivé à la mine. Il s'est changé... et comme chaque jour depuis qu'il travaille, il reste immobile devant la mine, assourdi et aveuglé. Il devrait y être habitué depuis le temps... mais non...
Il fait quelques pas vers la salle des machines aussi puissantes que bruyantes. La machine d'extraction... superbe, trois étages dans un escalier de bois pour aller en haut. La bielle énorme monte et descend. Les deux bobines colossales où les deux câbles de fer plats s’enroulent en sens contraire. Le massif énorme de maçonnerie en brique sur lequel repose la machine. Pas un ébranlement. Elle se trouve en arrière de la fosse, à vingt-cinq mètres, dans une salle plus haut.Machine d'extraction.
Un autre son lui parvient alors aux oreilles : un gros "tchouf-tchouf" venant d'un bâtiment un peu à l'écart. Il connaît bien ce bruit. Chaque jour, c'est pareil, il s'approche de la porte du bâtiment en question et contemple avec émerveillement la vieille locomotive à vapeur. Quelle belle mécanique ! Construite en Angleterre à Lincoln aux environs de 1915 par les Ets Robey et Cie, cette locomotive à vapeur actionne une pompe d'exhaure grâce à un système de courroies.
C'est un peu l'ancêtre de notre groupe électrogène.
D'un poids de 9 tonnes et d'une consommation de 50 kilos de charbon à l'heure, cette machine développe une puissance de 56 chevaux.Faut arrêter de s'attendrir. Le travail l'attend... Jules poursuit vers le puits.
Locomotive à vapeur actionnant les pompes d'exhaure. Elle n'a jamais été utilisée au fond à cause des risques évidents de grisou. Elle est exposée au Centre Historique Minier de Lewarde.
Son cœur bat à tout rompre. Il lève les yeux au ciel et soudain il apparaît, là haut, imposant, une véritable charpente de fer : le chevalement. C’est la bouche du puits d’extraction, le point le plus visible de la mine. Tout s’organise autour de lui. Le mouvement des cages, le roulement des berlines, l’intense activité des manœuvres d’extraction créent un vacarme de tous les diables !
Le chevalement.
Jules se laisse guider par le flot de mineurs allant tous dans la même direction, vers l'endroit que beaucoup considèrent comme le sanctuaire de la mine : la lampisterie. Une salle remplie de plusieurs centaines de lampes où règne le silence. Un silence si pesant que tous restent sans mot dire dans un respect presque religieux…
Chaque jour que Dieu fait, au même moment, Jules se rappelle son premier jour à la mine et la voix du vieux Amédée qui le guidait et qui lui a tout appris "N'oublie pas, gamin, dans les ténèbres de la mine, la lumière c’est la vie. Au fond de la fosse, la lumière est la seule étoile du mineur !". Sa voix résonne encore dans son esprit comme un avertissement. Il lui a expliqué que chacune des lampes est numérotée et se trouve accrochée dans cette salle sous le numéro correspondant. Les mineurs possèdent tous une médaille avec un numéro propre et lorsqu’un mineur descend, il prend sa lampe à laquelle il substitue sa médaille. Le système est simple.
Médaille de lampisterie aussi appelée "taillette".
Devant une lampisterie vers 1930 avant la descente au fond, les mineurs sont équipés de lampes électriques portatives.
Jules entre dans la lampisterie. Il reçoit sa lampe et se dirige vers le bord du puits.
Un trou béant de six mètres de diamètre, profond, presque sans fin… A côté, la cage est là. Simple cage de fer. Rien à voir avec les ascenseurs de nos immeubles à étages... et pourtant avec la même fonction. Les mineurs s'y entassent avec empressement pour descendre au fond de l’enfer. Les uns remontent et les autres descendent. Une fosse ne s'arrête jamais.
Une dernière cigarette avant de descendre. Derrière les mineurs assis sur le trottoir, on peut voir les tas de bois destinés au boisage des galeries. On peut se poser des questions à propos de ce cliché. En effet, il n'est pas logique que des mineurs puissent sortir de l'enceinte de la mine avec leur lampe. Qu'importe... Même si ce cliché n'est pas "naturel" et qu'il a été "préparé", il témoigne néanmoins d'une certaine ambiance de "pré-travail".
Mineurs sur le carreau avant la descente. On discute, on profite de ce moment privilégié... et on évite de penser aux dangers qui guettent chacun au fond des chantiers.
Les mineurs empruntent la cage à gauche, celle se situant à droite dans le même puits est au fond.
On distingue au dessus de l'entrée des deux cages un panneau avec des inscriptions.
Il s'agit du code des signaux entre le moulineur et le machiniste d'extraction, coordonnant les mouvements de cages.Quels sont ces codes ?
Du moulineur au machiniste:
1 coup : Holà mettre le frein
2 coups : Hue
3 coups : Pas plus haut
4 coups : Recule
5 coups : Hue des hommes
3 x 5 coups : On va commencer la descente
2 x 5 coups : Fin de la remonte ou de la descente
Du machiniste au moulineur:
1 coup : frein serréOn peut s'interroger sur les origines historiques de ces consignes notifiées.
Au début de l'histoire de l'exploitation houillère, les premiers mineurs étaient issus du milieu rural. Ils étaient agriculteurs et ont quitté leur vie paysanne pour travailler à la mine. Ils avaient, initialement, une activité essentiellement liée à la ferme où ces termes étaient couramment usités dans les champs et correspondaient aux ordres que l'on donnait aux chevaux.
L'extraction ne s'arrête jamais. Sur les dalles de fonte, c'est un tonnerre continu, les berlines de charbon roulées sans cesse, les courses des rouleurs et des rouleuses, dont on distingue les longues échines penchées, dans le remuement de toutes ces choses noires et bruyantes qui s'agitent.
Les rouleuses poussent les berlines pleines de charbon vers le moulinage, pleines de stériles vers treuil qui les emmènera sur le terril, vides vers l'envoyage pour les ramener au fond afin qu'on les remplisse à nouveau... une chaîne sans fin.
Avant, dans les temps anciens, tous les ouvriers descendaient dans la mine par des échelles inclinées à 60° superposées et séparées de 10 mètres en 10 mètres par un petit plancher. Elles étaient fixées solidement contre la paroi d'un puits pratiqué à coté de la fosse, et dans la fosse même pour pour traverser les terrains aquifères. Dans les couches de charbon, ces échelles étaient posées dans des cheminées de descente, construites sur l'inclinaison des veines. Jules se rappelle ce que son grand père racontait et combien étaient longues et pénibles pour les ouvriers, cette descente et cette ascension, et quel temps et quelle force ils perdaient dans ces manœuvres.
Jules entre dans la cage. Sous ses pieds, le vide. La cloche retentit. La descente va commencer. 16 mètres par seconde, ce n'est pas rien. Il sent soudain le sol manquer sous ses pieds. Son estomac semble remonter dans sa gorge, son cœur se serre et il a la nausée. Ils descendent.
Quelques minutes plus tard, ils arrivent au fond.
La cage arrivée au fond, les portes de fer s'ouvrent et les ouvriers se rassemblent à l'envoyage.
Un dernier contrôle des lampes de sécurité à flamme des ouvriers par le porion avant que ces derniers ne rejoignent
leur taille respective. Ils sont arrivés, son cœur se resserre, la cage se vide. Les ouvriers traversent la salle d’accrochage haute de quatre mètres
et taillée à même le roc. L'accrochage est boisé d'énormes troncs d'arbre vu la proximité immédiate du puits. Il y règne une forte odeur de salpêtre. Il sent des souffles chauds. Ca y est, il est
dans la mine. Quatre galeries s’ouvrent devant les mineurs. Ils se séparent et s'engouffrent dans ces trous noirs longs de plusieurs
kilomètres. Pas un mot, le silence règne. Il suit calmement un groupe d’ouvriers. Devant lui, marche un galibot. Il crie :
"Attention la tête !". Trop tard ! Sa tête tape violemment
contre le barrage de la galerie. Mais bon, pas de soucis, il porte sa barrette. Il continue à marcher péniblement. Il connaît la galerie, il y vient chaque jour et pourtant, à chaque pas, ses
pieds butent contre le sol humide et rocailleux. Jules lève la tête : le toit est soutenu par d’énormes cadres de bois, derrière lesquels il aperçoit la masse de la pierre terne et rugueuse.
Cette installation ne lui inspire toujours pas confiance... La gorge serrée, il avance dans le silence morne de la galerie, croisant par moment, mineurs, hiercheurs, enfants, chevaux ou rats. Depuis
un instant, il perçoit avec inquiétude un bruit sourd et lointain. Le roc tremble. Un carrefour se présente. Deux groupes se forment.
Les galeries menant à la veine sont petites et étroites. Les mineurs rampent sur un escarpement de charbon tant le plafond est près du sol. C’est un véritable chemin de taupe ! La poussière entre dans les yeux, les poumons et les oreilles… la douleur est atroce ! La sueur ruisselle sur les corps, épaisse, brûlante et noirâtre. Les habits collent à la peau, et la température devient soudainement insupportable ! Les portes d’aérage battent, mais l’air est irrespirable. Les mineurs souffrent.
La progression est difficile. Finalement, on annonce "La veine !". C’est la veine où se trouve le front de taille. Le toit en pente descend si bas, que les mineurs doivent courber l'échine sur près de trente mètres. L’eau leur arrive aux chevilles. Ils font deux cents mètres, puis montent. Quelques mètres plus haut, Jules rencontre la première voie secondaire. En levant la tête, ses yeux bien que pleins de poussières distinguent l’empilement des voies.
Il était inconcevable qu'un mineur puisse fumer dans les chantiers du fond, et chacun en avait parfaitement conscience.
Au même titre que leur solidarité dans le travail, les mineurs respectaient entre eux, les consignes du règlement liées à l'usage du feu au fond.
Leur vie et celle des leurs en dépendaient dans ce métier périlleux où le moindre écart aux règles de sécurité générait de façon systématique des conséquences fatales...
Dans ces conditions, il était difficile pour les mineurs adeptes de la cigarette ou de la pipe, de s'abstenir de fumer tout au long d'un poste de travail.
Aussi, les mineurs chiquaient.
C'était un autre mode de consommation du tabac qui consistait à mâcher comme du chewing gum une carotte ou une pincée de tabac, puis à cracher une fois qu'ils en avaient extrait et absorbé la nicotine.
Le front de taille est là… à près de 1.000 mètres sous terre ! Jules pioche, il abat le charbon. Le hiercheur qui l'accompagne dégage le chantier tandis que le bouteur charge les berlines.
Il pioche à la main ou abat le charbon au marteau piqueur (selon les époques), l'autre dégage et l'autre charge les berlines… Les mineurs répètent incessamment ce difficile rituel.
Le charbon abattu est envoyé vers l'accrochage où on le met dans de grandes berlines, que la machine amène au jour. Du chantier d'exploitation à l'accrochage, il y a parfois plus d'un kilomètre à parcourir. Pour que le charbon y arrive, c'est tout un système de convoyage qui a été mis au point. Tout dépend de l'endroit, de la configuration du lieu, de l'accessibilité, de la hauteur de la galerie...
L’enfer de la mine : Les mineurs devaient parfois s'allonger les uns à côté des autres, sur toute la longueur du front de taille. Séparés par les planches à crochets qui retenaient le charbon abattu, ils occupaient chacun quatre mètres environ de la veine, et cette veine était si mince, épaisse à peine à cet endroit de cinquante centimètres, qu'ils se trouvaient là comme aplatis entre le toit et le mur, se traînant des genoux et des coudes, ne pouvant se retourner sans se meurtrir les épaules. Ils devaient pour attaquer la houille rester couchés sur le flanc, le cou tordu, les bras tendus et brandissant de biais la rivelaine ou le pic à manche court...
Là où le cheval ou l'âne ne peut circuler tirant des chariots ou des berlines, c'est l'homme qui est le seul moteur employé pour transporter le charbon. Suivant les voies qu'il doit parcourir, il agit, comme "porteur", chargé de sacs ou de hottes; "brouetteur", en poussant devant lui une brouette; "traîneur", en poussant ou tirant des traîneaux à patins (esclittes); "rouleur", en poussant ou tirant des chariots ou petits wagonnets soit sur le sol même de la galerie, soit sur des voies perfectionnées.
Depuis le temps que Jules travaille à la mine, il a eu tout le temps de se rendre compte que lorsqu'on a établi un service de transport, il ne faut pas s'arrêter. Pas de ralentissement, pas d'embouteillage. Le déplacement des mineurs employés au transport du charbon doit être fluide. Les porions observent le travail et font rapport à l'ingénieur qui imagine le système le plus efficace pour le calcul des dépenses de temps et d'énergie par rapport au profit engrangés. Il se rappelle qu'en 1855, les transports sur le sol des galeries nécessitaient un tel entretien de la galerie d'autant plus coûteux que le sol était plus humide et moins résistant qu'il fallait en permanence y allouer 12 mineurs. 12 mineurs qui entretenaient le sol d'une galerie et qui ne produisaient pas de charbon. L'ingénieur a indiqué dans son rapport pour le directeur que "Lorsqu'on a des transports actifs et des trajets au delà de 100 mètres, l'entretien de la voie devient si onéreux en main d'œuvre qu'il conduit presque toujours à adopter les voies perfectionnées." Quelques semaines plus tard, le sol de la galerie principale était recouvert de planches de bois permettant aux hommes et aux les chevaux employés comme moteurs pour le service des transports de se déplacer plus facilement et donc d'augmenter la productivité. L'ennui, c'est que la "facilitation" du travail a fait augmenter les cadences et on demandait alors à un rouleur de transporter jusqu'à 5.500 kg à 1 km pendant sa journée de dix heures. Cette pression est ensuite retombée sur les abatteurs qui devaient produire assez pour que les rouleurs fassent correctement leur travail.
Produire plus et surtout produire bien. Produire bien ! Car pour bien faire, le charbon devrait arriver en surface avec un minimum de manutention. Plus on manipule le charbon, plus de fois on le charge et le décharge, plus il se brise. Le gros charbon a seul une valeur considérable tandis que le menu en a que peu. Sur ce point, les mineurs sont aussi évalués. il n'est pas question de donner des petits coups de pioche pour faire tomber des petits morceaux de charbon de la veine. Il faut y aller franchement et fort pour détacher de gros blocs. Si tu ménages ta peine, tu n'obtiendras rien de bon et tu seras mal noté par le porion.
C'était Joseph, le hiercheur, qui souffrait le plus. A la veine, la température montait jusqu'à trente-cinq degrés, l'air ne circulait pas, l'étouffement par la chaleur et les poussières, à la longue devenait mortel. On avait dû, pour voir clair, fixer les lampes avec un clou, à un madrier du toit de la galerie. Même si les flammes sont petites et éclairent mal, elles sont là, près des têtes; et ces lampes, qui chauffaient les crânes, achevaient de lui faire bouillir le sang. Mais son supplice s'aggravait surtout à cause de l'humidité. La roche, au-dessus de lui, à quelques centimètres de son visage, ruisselait d'eau. De grosses gouttes continues et rapides, tombant sur une sorte de rythme entêté, toujours à la même place. Il avait beau se tordre le cou, renverser la nuque : elles battaient sa face, s'écrasaient, claquaient sans relâche. Sans vouloir bousculer un autre travailleur de l'équipe, il se déplaçait un peu pour éviter les gouttes... et là, c'est un autre ruisseau qui se déversait sur son visage.
Tous les ouvriers du chantier étaient logés à la même enseigne : où qu'on aille, de quelque manière qu'on se mette : chaleur, poussière et humidité étaient le lot de chacun. Certains le supportent tant bien que mal, d'autres le vivent comme un supplice chinois.
Au bout d'un quart d'heure, tous les mineurs étaient trempés, couvert de sueur, d'eau chaude ruisselante et de poussière collante, tous, le corps fumant d'une chaude buée de lessive. Ce matin-là, les eaux dégoulinent de partout, s'acharnant sur toutes les parties de leurs anatomie, les faisant jurer chacun à leur tour. Mais ils ne voulaient pas lâcher leur havage, il fallait avancer et tous donnaient de grands coups, pour abattre et évacuer le précieux minerai.
Il fait si chaud que la majorité des mineurs tombent la veste, se retrouvent torse nu, en short... quand ils ne travaillent pas en caleçon avec juste le casque sur la tête, les gants aux mains et les godillots aux pieds.
Cette fois c'en est trop. Au risque de se faire mal voir, Jules appelle le porion et lui dit que ce n'est plus possible de travailler dans de telles conditions. Il faut pouvoir respirer pour travailler et produire. "Produire"... le mot magique a été prononcé. Jules n'a pas mis en avant le bien-être des travailleurs mais la productivité et le rendement.
Théophile appelle un galibot et lui ordonne d'aller chercher un aérateur manuel. Oui, il y a bien des ventilateurs qui, de la surface, par le puits d'aération, envoient vers le fond de l'air frais et pur, poussant et évacuant par le puits de retour d'air l'air chaud et vicié. Mais l'air frais ne parvient pas dans les recoins des tailles là où travaillent Jules et ses acolytes.
L'aérateur manuel arrive et le galibot l'actionne et envoie vers les travailleurs de l'air frais.
Aérateur manuel.
Un coup de sifflet. Enfin, c'est la pause. Le "briquet". Un moment de convivialité entre copains, lors de cette pause repas à même les lieux du chantier du fond.
Briquet au fond vers 1900, remarquez l'usage des astiquettes ou lampes à clou fixées aux barrettes de cuir.
Briquet au fond vers 1930
Briquet au fond vers 1950
L'expression "le briquet" nous vient de l'anglais. Parce que les Anglais sont descendus au fond bien avant les Français. Alors ils nous ont laissé des mots de leur vocabulaire. Briquet, vient de break, qui signifie pause. Mais au fond, avec l'accent picard, c'est devenu "brique" et par extension briquet.
En l'occurrence, des tartines de saindoux, de la graisse de porc, parce qu'au fond, le beurre devenait rance.
Par contre, c'est bien Raoul Briquet qui proposa et fît accorder au gouvernement qui imposa aux compagnies minières (privées à l'époque) qu'une pause "casse-croûte" soit payée pendant le temps de travail.
Fait marquant des traditions minières du Nord de la france et de Wallonie, le mineur emportait toujours quelques tartines de pain supplémentaires, dans sa musette, qu'il ne mangeait pas.
Ces dernières étaient en effet descendues au fond, et s'imprégnaient d'une "saveur particulière" liée à l'atmosphère chaude et humide ambiante durant tout le poste de travail.
Le père de famille, complice de cette tradition, ayant terminé son poste et rejoint son domicile offrait ces tartines à ses enfants qui se faisaient une joie de se disputer et de déguster ce pain emblématique, qu'on appelait chez nous: le pain d'alouette...
Une petite demi-heure pour un repos bien mérité. Manger et s'hydrater.
Jules est profondément croyant et a été élevé dans un grand respect de la tradition. La nourriture est quelque chose de sacré qu'on doit respecter et honorer. Aussi, lorsqu'il mange, Jules se découvre et retire sa barrette par respect pour la nourriture qu'il a gagné à la sueur de son front. Il sait que le règlement l'interdit car c'est un manquement à la sécurité, mais il le fait car c'est une marque de respect vis à vis de la nourriture, tout comme à la maison, quand il vient prendre son repas avec sa famille, il enlève sa casquette quand il se met à table.
C'est sans compter sur Théophile, le porion qui surveille tout le monde. Il voit que Jules ne porte pas sa barrette et il
lui crie : "Jules t'auras un cinquième ! (Une amende équivalant au cinquième de sa paie journalière)
- Foutriquet d'porion ! Tu sais bin que j'retire em capiau quand j'mange ! Faut toujours qu'tu sois sur not' dos ! T'es vraiment à la solde de la Compagnie !
- J'sais bin que j'suis pas comme Pépère, il laissait tout faire, lui. J'veux bin passer sur des trucs, mais là, c'est ta sécurité qu'est en jeux !
- Sécurité ? Jean foutre, va ! C'est d'la production qu'on cause ! S'il arrive un truc à un gars d'l'équipe, faudra qu't'appelle l'brancard et l'chantier s'ra à l'arrêt, t'auras pas ton quota
d'berlines et faudra qu't'ailles t'expliquer avec l'ingénieur... et de toute manière
c'est sur nous qu'ça r'tomb'ra parce que l'lendemain faudra qu'on mette les bouchées doubles pour rattraper le retard !
- J'veux bin qu'la production soit en jeux, mais ta sécurité y est aussi !
- C'est bin c'que j'dis ! C'est comme tantôt, t'aurais préféré nous laisser crever plutôt qu'nous donner l'aérateur, mais c'est quand j'ai dit qu'on produirait mieux si on pouvait respirer correctement
qu't'as bougé. N'oublie pas que t'n'es rien d'plus qu'un ouvrier comme nous. La Compagnie te remplacera comme nous
quand elle en aura envie. Nous, on ne vaut rien. C'est l'charbon qui vaut quèk chose. Au lieu d'être contre
nous tu devrais être avec nous. Ca, Pépère l'avait compris. Toi, t'es encore qu'un gamin, tu t'crois important parce que t'es porion, mais t'es encore qu'un gamin !
Tu n'connais encore rien à la vie.
- J'comprends bin c'que t'veux dire, Jules, mais j'veux pas d'accident dans mon équipe !
- T'inquiète, Théo on fait gaffe, on sait s'qu'on fait... depuis l'temps
qu'on fait c'foutu merdier d'boulot... Et puis au lieu d'manger tout seul dans ton coin, pourquoi qu'c'est t'il qu'tu viens pas manger avec nous, avec ton équipe ? On n'est pas bin assez pour toi ?
- Non c'est pas ça ! Mais j'suis nouveau ici et j'suis porion alors j'sais pas trop...
- Bon Dieu d'bois ! Tu dis qu'on est une équipe ! Viens manger avec ton équipe, cré bon sang !
- Merci Jules ! J'peux plus rin faire pour ton cinquième, j'lai d'jà écrit dans l'carnet et j'peux pas y faire d'ratures.
- Te bile pas Théo, t'avais raison, j'aurais dû garder m'barrette su'l tête. Allez, viens manger avec nous."
Théophile aurait-il compris ? Peut-être...
Toujours est-il que Jules va perdre un cinquième de sa journée... déjà que le salaire n'est pas énorme et que la Compagnie ne
lésine pas sur les charges... En effet, outre le salaire, la Compagnie les loge moyennant 2fr.50c. à 4fr. par mois, et leur alloue un petit jardin que le mineur doit entretenir sinon le garde le
mettra à l'amende. Elle leur donne pour chauffage une quantité de charbon proportionnelle au nombre d'individus composant la famille...
mais jamais assez pour passer toute l'année... alors le mineur peut en
acheter, à bon prix. En cas de maladie, l'ouvrier est traité à domicile au frais de
la Compagnie.
Avant dix ans, les enfants gagnent 40 centimes par jour à extraire les pierres mélangées à la houille (Triage au jour).
A dix ans, ils descendent dans la mine et gagnent 60 centimes par jour à porter les lampes, pousser/tirer les berlines, amener les rondins sur les chantiers pour le boisage.
A douze ans, en tant que hiercheur, il peut gagner jusque un franc par jour.
Un ouvrier adulte peut gagner jusque 1fr.40c. et un abatteur peut gagner 1fr.70c. par jour.
L'équipe reprend le travail après la petite altercation qui a eu pour effet de remettre les pendules à l'heure. Théophile donne même un coup de main pour évacuer les berlines pleines et amener les berlines vides au plus près du chantier. L'ambiance de travail est bien meilleure et tout le monde y met du sien pour atteindre et même dépasser le quota imposé.
Aujourd'hui a été une bonne journée, l'équipe de Jules a ramassé plus que son quota de gaillettes (ça vient de galets).
Jules, lui, n'a pas arrêté. À part la pause briquet de midi et cinq minutes ici et là, assis sur s'daine (ses fesses : ça vient de down, bas, en anglais) pour boire un coup.
La fosse : un monde d’hommes… mais qui n’existerait pas sans les femmes.
La loi de 1874 interdit la présence des femmes dans les travaux souterrains. Elles ne sont donc, en théorie, présentes
que dans les installations du jour.
Ainsi, dés l'âge de 12 ans, on les retrouve dans différents corps de métiers sur le carreau en surface occupées à des tâches essentiellement liées à la manutention, telles que le moulinage,
le criblage, le triage.
Affectées en majeure partie au triage ou criblage, elles étaient chargées de
retirer les matières stériles, parfois de gros blocs de pierre et les charbons non calibrés du minerai défilant sur le tapis. La chaîne
continue, ne pouvait s'arrêter.
Au criblage, les conditions de travail étaient très difficiles, œuvrant dans un épais nuage de poussières de charbon, leurs visages étaient aussi noir que
ceux des abatteurs au fond.
Les mineurs les surnommaient "les culs à gaillettes", qualificatif peu flatteur en hommage à ces femmes de la mine...
Elles étaient sous la responsabilité d'un porion au jour qui ne les ménageait pas...
On les appelait également cafuts, terme beaucoup plus sympathique en rapport à leur coiffe qui protégeait leurs cheveux des poussières de charbon.
Cet emploi des femmes dans les mines était avilissant à bien des égards : les histoires salaces, la promiscuité faisaient vite perdre leur innocence aux
jeunes filles vêtues d'un lourd tablier de toile qui les protégeait partiellement, les jeunes filles et les jeunes femmes fournissaient un
travail harassant sous le regard suffisant du chef d'atelier de triage.
Cependant, le métier féminin de la mine le plus emblématique est
incontestablement celui de la lampiste.
Ces jeunes femmes encadrées par le chef de la lampisterie ont la lourde responsabilité de distribuer et de récupérer en début et en fin de chaque
poste, les lampes à benzine, outil d'éclairage indispensable au mineur de fond.
Tâche importante, puisqu'au même titre que la taillette, une lampe qui n'est pas rangée dans son emplacement numéroté sur les étagères de rangement,
signifie implicitement que le mineur n'est pas remonté du fond.
Elles ont également à charge, l'entretien des lampes qui doivent avoir un fonctionnement irréprochable au fond; tâche ardue nécessitant une bonne
connaissance du matériel puisque chaque lampe était composée de plus de cent pièces différentes...
Mais le mineur ne pourrait durablement exercer son métier si sa femme ne le soutenait pas. On a vu qu’ils ont tous un lopin de terre plus ou moins grand, des animaux à engraisser. Ils en font beaucoup après la journée à la mine, mais, et c’est un euphémisme, la femme y participe.
Dans l’ensemble du Bassin Minier, si elles ne travaillent pas au triage ou à la lampisterie, les femmes sont exploitées par des patrons de la passementerie qui leur livre à domicile le travail à effectuer (franges, dentelles, gants etc.) sur lequel elles usent leurs doigts et leurs yeux (à la lueur de lampes à pétrole) pour de maigres salaires qui aidaient à boucler les fins de quinzaine.
La ménagère tient son ménage, comme toute femme d’ouvrier. Elle tient son intérieur impeccable car sa fierté est en jeu, entretient les vêtements de travail de son homme, et ce n’est pas une mince affaire.
Mais, aussi, elle attend son retour, guette la sirène sonnant "à l’accident". Pour qui, cette fois-ci ?
Quand son mineur se retrouve à l’infirmerie, à l’hôpital, parfois pire, il faut tenir le choc, car le moral du mari, des enfants, peuvent en dépendre. Quand la voisine est touchée, on va
la soutenir. La vie doit continuer.
La silicose frappe les hommes. Quand ils ne peuvent travailler, les femmes s’occupent de leurs maris : il faut assister continuellement, jusque dans les gestes les plus anodins parfois, des hommes dont les forces diminuent sans cesse, soumis en permanence à l’obligation du masque à oxygène, jusqu’à une issue que l’on sait fatale. Aucune n’en sort indemne.
Pour la mère de famille, la gestion et l'organisation liées au roulement des différents postes de travail de leur
époux, de leurs fils, le même jour, n'étaient pas choses simples.
Entre la préparation du chauffage de la cuisinière à charbon tôt le matin, du
café, des briquets, des repas au retour des mineurs après leurs postes, des
lessives des bleus de travail, du repassage et de l'entretien de la maison,
il y avait effectivement de quoi faire !....
La lessive.
Scène quotidienne dans les corons.
Les enfants sont sur le départ du chemin de l'école, les épouses font la lessive des "loques" de fosse de leurs époux, il est vrai que la météo semble clémente ce jour-là.
La grand-mère réitère ses leçons de morale aux enfants, ces derniers l'écoutent d'une oreille comme à leur habitude.
Elles travaillaient aussi à entretenir le jardin et s'évertuaient à faire pousser des légumes. C'était aussi aux femmes de fabriquer une bière peu alcoolisée, délicieuse et très désaltérante. Avantage considérable pour leurs hommes : la poussière, omniprésente dans le métier de mineur, ça donne soif !
Les corons de nos citées minières dans les années 1950 : les femmes de mineur ne cessent de nettoyer leur maison. Il faut dire que la propreté est une qualité naturelle des Wallons et des gens du Nord. Le mineur travaillant au fond de la mine dans des conditions bien souvent insalubres, quand il pense à cette maison toute nette qu'il va retrouver en rentrant, ça lui donne le cœur de tenir...
Faire les courses... encore une tâche dévolue aux femmes. Voici une mère de famille et ses enfants rentrant vraisemblablement d'un marché de quinzaine, qui se déroulait bien souvent devant la fosse...
...et préparer les repas sur la cuisinière au charbon qu'on doit allumer chaque jour... qu'il fasse chaud ou froid dehors ...
Ancienne cuisinière à charbon.
Ce cliché pris en 1947, au sein d'une famille de mineur dans la région de Douai fut vraisemblablement, saisi pour la postérité un dimanche matin...
Le mari de ce ménage, participe à la préparation du repas dominical mijoté sur la cuisinière à charbon qu'il active, pendant que sa femme surveille la cuisson de ce dernier.
A cette époque, la participation de chacun aux diverses tâches ménagères, y compris les enfants, était l'une des vertus primordiales, caractéristiques de la bonne morale des familles de mineurs de Wallonie et du Nord de la France...
Cette entraide mutuelle se retrouvera de façon naturelle au travail, sur les chantiers du fond...Le travail achevé, une tasse de café que l'épouse du mineur partageait bien souvent avec la voisine quand les époux étaient à la fosse.
Une scène à laquelle les enfants ont souvent assisté le jeudi quand il n'y avait pas classe.
La cafetière et la bouilloire sur la plaque de la cuisinière à charbon.
Le café était toujours au chaud.
Il est vrai que l'on en consommait sans modération dans notre région minière...
Il faut rendre hommage à toutes les femmes de mineurs qui ont connu cette vie de labeur, cette vie éreintante, voire des plus pénibles qu'une ménagère puisse connaître et qui faisait pourtant partie des activités quotidiennes de nos familles à l'époque.
Jules ne sait combien d’heures se sont écoulées après le briquet quand le porion qui regarde souvent sa montre annonce qu'ils remontent… Sous terre, le temps est comme figé. On range le chantier pour que les boiseurs de l'après midi puissent faire un bon travail et tout le monde reprend le chemin menant au puits. Certains sont déjà arrivés sur des chantiers et entament leur travail.
Ce cliché d'époque, nous montre la préparation de bois d'étayage ou billes de boisage par deux mineurs boiseurs qui mettent à longueur la hauteur du bois.
Ils feront ensuite des gorges de loup aux extrémités de ces derniers à la hache pour assurer un assemblage correct, mais surtout une stabilité sécurisée du boisage dans la taille d'exploitation.
Au détour d'une galerie (que les mineurs de Wallonie et du Nord de la France appellent "bowette"), les mineurs rencontrent le boutefeu qui prépare un nouveau fonçage de galerie qui desservira les chantiers d'exploitation de charbon.
Le boutefeu, celui, littéralement, qui "boute le feu", est le seul ouvrier habilité à manier et utiliser des explosifs au sein de la mine. Sa fonction est si particulière qu'il doit avoir une moralité sans tâche selon l'enquête de police à laquelle il est soumis avant d'obtenir ce poste. Il fut longtemps un personnage à part dans la hiérarchie de la mine où il avait le rang de porion.
Lors du fonçage d'une galerie, son avancement se fait suivant un plan de tir bien défini que le boutefeu suit à la lettre :
1 -Détermination par l'ingénieur du type de roche que le boutefeu doit faire sauter.
2 -En fonction du type de roche et de sa dureté, le boutefeu détermine le nombre de trous à forer, leur profondeur, leur distance les uns par rapport aux autres.
3 -Les bowetteurs, mineurs chargés du creusement dans la roche,exécutent ce travail au moyen d'une perforatrice pneumatique qui réalise des trous circulaires.
4 -Une fois ce travail terminé, il faut curer les trous avec de l'air comprimé de façon à pouvoir entrer l'explosif sans difficulté. Il est clair que le responsable des explosifs supervise les opérations de perforation et d'injection d'air.
5 -Avant la mise en place des explosifs, il regarde s'il y a des morceaux de roche en suspens qui pourraient tomber. Le cas échéant il "purge" le chantier de tout danger car il faut éviter à tout prix des chutes de blocs en pleine opération de minage.
6 -Une fois en situation de sécurité, il met l'amorce dans la cartouche, fait le nœud réglementaire avec le fil et procède à l'introduction de chaque bâton de dynamite au fond du trou au moyen d'un long manche en bois : c'est "le bourrage". Il est le seul habilité à manipuler les charges amorcées et doit veiller à la quantité d'explosif à utiliser et respecter les numéros des amorces.
7 -Puis il relie les fils des différentes charges ensemble et met le chantier en attente.
8 -Le boutefeu travaille en parfaite coordination avec le gazier. On peut aisément comprendre qu'il ne peut y avoir de tir de mine en présence de méthane (grisou), et même après l'intervention du gazier, le boutefeu aura toujours avec lui une lampe Wolf grisoumètrique de type Arras.
9 -Quand tout est sous contrôle, il fait évacuer le chantier en s'assurant de la mise en sécurité de la zone de tir. Avant l'explosion, les canons à brouillard sont mis en action, dans le but d'abattre le plus gros des fumées etdes poussières. De la voix, ou avec une petite trompette, il annonce la mise à feu avant de pratiquer au tir.
10 -Les fils de mine conducteurs sont insérés dans les bornes de connexion et maintenus par deux boutons à vis rotatifs. ("Le fil bleu sur le bouton vert, le fil rouge sur le bouton noir")
11 -Le mineur boutefeu déclenche le tir en actionnant par rotation la manette escamotable en laiton se situant en partie supérieure de l'exploseur. Cette dernière, retrouve sa position initiale après armement du tir par un mécanisme astucieux à ressorts et roue libre.
Suivant la constitution des terrains, avec un bon plan de tir, c'est à dire avec une bonne répartition des trous de forage et un bourrage bien dosé, chaque tir assure une avancée d'un mètre cinquante en moyenne.
12 -Ensuite l'équipe déblaie les roches, pose le boisage provisoire et le cycle recommence. En fin de journée, il note dans son rapport qu'il remettra à l'ingénieur, le décompte des explosifs et des détonateurs utilisés.
Boutefeu, ou artificier en action, insérant des charges de dynamite dans le front de taille.
Les fils conducteurs d'alimentation des charges sont visibles.
Ces derniers étaient reliés à un exploseur dont l'enclenchement du tir était commandé par le boutefeu.
Exploseur aussi appelé par les mineurs "boîte à buquer". Cet outil assez lourd, environ 2 kilos, d'une hauteur de
18 cm pour 14 cm de largeur est attaché au ceinturon de l'ouvrier du fond.
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, cet exploseur est à l'origine de l'édification des fameux et chers terrils de notre région.
Ces derniers étant constitués à plus de 60 % des schistes issus du traçage des bowettes; le solde résultant de différentes terres issues du creusement des puits et des résidus provenant des triages et
lavoirs de houille.
Un boutefeu reliant les charges de dynamite entre elles.
Sources photo: Archives CDF.
Boutefeu armant un tir de mine avec exploseur.
Accrochée à sa ceinture, une lampe à flamme grisoumétrique Arras, servant au contrôle de l'éventuelle présence de méthane, ou grisou.
Jules continue en direction du puits et quand il est déjà à bonne distance, il entend l'explosion et sens son souffle. Le boutefeu a fait son travail. Dans l'avenir, Jules sera peut-être envoyé extraire du charbon dans cette nouvelle direction.
Enfin le puits... la cage... et l'air libre.
Les mineurs ont le sourire, non mécontents d'avoir terminé leur poste de travail....
Arrivé à la surface, le corps noir de charbon, les muscles douloureux Jules ne peut s’empêcher de penser que chaque jour au fond de la mine est une journée aux portes de l’enfer. Ses mains tremblent, mais il est heureux de revoir les siens.
Chaque mineur a sa taillette personnelle numérotée qu'il échange à la lampisterie contre une lampe pour descendre.
Ce jeton était accroché sur un tableau à la lampisterie.
Il était restitué au mineur lors de sa remontée en échange de la lampe prêtée en début de poste.
En cas d'accident au fond, il était facile de voir en un coup d'œil sur le tableau, les mineurs qui n'étaient pas remontés.
Jules repasse par la salle des pendus. Cette étrange appellation provient des journalistes Parisiens des années 30 qui découvrirent cet impressionnant vestiaire suspendu. On peut comprendre, cette métaphore émanant des médias néophites certes, mais les mineurs n'utilisèrent jamais ce terme, ils appelaient cette salle : les lavabos, et ce, à juste titre....de son usage...
Jules se débarasse de ses vêtements de travail, se lave sommairement et enfile
ses vêtements de ville.
Sous l'air chaud pulsé par les ventilateurs des bains douche, les vêtements de travail, imprégnés de l'humidité du fond, séchaient ainsi jusqu'au poste
du lendemain.
Pour la majorité des mineurs, dès que la lampe est rendue à la lampisterie, ils passent à la douche, se savonnent tout le corps, s'aident même les uns les autres, se peignent correctement, enfilent leurs vêtements de ville et se retrouvent dans les estaminets qui s'inséraient parmi ces habitations typiques. Les mineurs affectionnaient particulièrement ces endroits paisibles après la remontée, pour s'y désaltérer et retrouver une certaine jouvence entre eux, qui leur faisait oublier, à travers ces quelques moments de bonheur, leur dur labeur...
Jules ne traîne pas. Il sort de la fosse et ne pense qu'à revoir les siens. Il se lavera complètement à la maison. Il ne veut pas perdre son temps et son argent dans les estaminets qui entourent la mine. Ses yeux, qui erraient sur la plaine immense, peu à peu l'aperçoivent : le coron. Bâti sur le plateau, et dont il distinguait seulement les tuiles rouges.
Il se presse. Il est 14 h quand Jules rentre enfin chez lui. Pour ses 2 plus petits enfants, Anatole et Bernard, il a apporté du pain d'alouette. La belle histoire...
Un petit réconfort et puis Elvire l'aidera à se laver avec un grand baquet d'eau chaude.
La traditionnelle "bistouille" (café mélangé avec un peu de rhum ou de genièvre) que le mineur buvait à la maison au retour de la fosse.
Petit moment de réconfort après une dure journée d'effort.Certains mineurs, ne faisaient pas leur toilette aux lavabos ou bains douches de la fosse.
Ils préféraient se laver dans un baquet d'eau chaude que l'épouse avait préalablement fait chauffer sur la cuisinière au charbon.L'épouse du mineur l'aidait dans sa toilette en lui lavant le dos.
Jules va se reposer une petite heure avant que les enfants ne rentrent de l'école ou du travail. En effet, Jules a 10 enfants.
- Jocelyne, 23 ans, qui travaille au triage.
- Annick, 20 ans, qui travaille à la lampisterie.
- Jacques, 16 ans, qui travaille au fond comme galibot, porteur de lampes.
- Zacharie, 13 ans, qui a juste terminé ses études primaires et qui vient d'obtenir son certificat d'études.
- Jeanlin, 11 ans, qui est 5ème primaire.
- Les jumelles, Léonore et Myriam qui ont 7 ans et qui sont en 3ème primaire.
- Catherine, 5 ans qui est dans la grande section des maternelles.
- Anatole, 4 ans qui est dans la petite section des maternelles.
- Bernard, 2 ans qui vit encore avec sa maman.
Après ce petit repos bien mérité, Jules raconte sa journée à son épouse et son altercation avec le porion.
"Jules, déjà qu'on n'a pas trop d'sous... et v'la qu'tu vas perdre 1/5 de ta paie d'la journée... T'es
pas bin prudent. Fais attention avec c'te
nouveau porion. C'est pas Pépère. C'est un p'tit jeune qui veut s'faire remarquer par ses chefs. Faudrait pas non plus que tu t'fasses
licencier pour mauvaise conduite. Ca s'rait noté dans t'carnet et avec une note pareille ou qu'c'est t'il que t'vas trouver d'la besogne. Ils
pourraient aussi t'envoyer dans la mine disciplinaire pour t'apprendre les bonnes manières. L'travail s'rait bin plus dur et ta paie s'rait encore
bin plus p'tite.
- J'sais bin, ma chérie, j'f'rai attention...
- A c'propos, il y a l'garde des mines qu'est passé...
- Qu'est c'qu'il veut encore c'ui là ?
- Bin y dit qu'not jardin est mal entretenu. Y dit qu'il y a pas assez d'fleurs, trop d'mauvaises herbes et qu'nos légumes sont pas bin beaux. Y dit qu'si ça continue, Y f'ra un rapport à
la direction et qu'on pourrait bin donner not'jardin à un aut' mineur. Faudrait pas qu'ça arrvive car les légumes c'est important pour les gosses. Si on nous r'tirait not'jardin, faudrait qu'j'aille
ach'ter les légumes au marché... mais comme on n'a pas beaucoup d'sous...
- J'comprends bin, mais j'suis crevé quand j'rentre d'la fosse. J'vais aller faire un tour au jardin.
Jules sort ses outils de sa remise et rejoint son voisin,
Adémar, qui a eu lui aussi la visite du garde et qui s'affaire déjà sur
son lopin de terre. Travailler à deux est plus motivant. Et les voilà tous les deux à gratter le sol rocailleux.
On travaille ensemble, on discute... Au jardin, les heures passent, longues, interminables, éreintantes. Déjà le soleil se couche sur l'horizon. Les enfants
sont rentrés de l'école ou du travail. La soupe est prête et Elvire appelle son mari pour qu'il vienne les rejoindre pour le repas.
Douze à table pour ce repas quotidien, fidèle à l'adage: "famille nombreuse, famille heureuse". Tout le monde mange sa soupe. Jules regarde Zacharie avec un grand sourire. "Mon fils, t'as ton certificat d'études. T'es
d'venu un homme et il est temps qu'tu gagnes ta croute. Dans la s'maine, j'ai vu l'directeur et l'ingénieur et j'leur ai parlé d'toi. J'leur ai dit qu't'étais un bon gars, honnête, courageux, pas
bête pour deux sous et bon chrétien puisque t'vas à l'église tous les dimanches. Ils m'ont dit qu'ils allaient y réfléchir. L'ingénieur m'a vu c'matin avant qu'je descende et il m'a dit qu'tu
commençais lundi à la fosse Mariette comme galibot dans l'équipe du grand Thomas. J'lui ai causé au grand Thomas. Il s'occuperas d'toi. Tu suivras bin ses conseils et il t'apprendras l'métier. Tu
s'ras mineur, mon fils." Voilà tout était dit ! Zacharie ira au fond comme son frère, son père, son grand-père, ses oncles et ses cousins. Elvire ne dit rien. Elle est tiraillée entre deux sentiments. L'entrée à la fosse de Zacharie lui rapportera une paie
supplémentaire et la vie sera un peu meilleure, mais elle verra partir chaque matin, avec leurs père, deux de ses fils dans le trou sans savoir s'ils reviendront, comme tous les membres de sa famille
et de la famille de son mari. Tous mineurs ! Quand donc cela va-t-il s'arrêter ? Quand donc pourrons-nous exercer un autre métier que celui de mineur ? Mineur... On dit que c'est le seul
métier que le diable n'a pas accepté de faire... Le soleil est couché. Il est temps d'aller dormir. Zacharie s'étend sur sa couche, les yeux grands ouverts. Excité et effrayé
à la fois, il sait qu'il va entrer dans la vie d'homme, lui qui n'a que 13 ans, il n'aura plus droit à l'erreur. Lundi, ce sera sa première descente et son premier jour en tant que mineur... Jules passe dire "bonne nuit" à tous ses enfants et souffle sur la dernière chandelle encore allumée et Zacharie plonge son
regard dans les ténèbres. Peu à peu ses yeux s’habituent au noir et il distingue autour de lui sa maison, la maison de ses parents, une véritable maison de mineur.
Il prend seulement conscience de l'espace dans lequel il vit, espace qu'il devra quitter pour descendre dans la fosse. Quatre pièces dont 3 chambres :
la sienne, carrée, à deux fenêtres, que trois lits emplissent : un pour lui et son grand frère, un autre pour Jeanlin et Anatole et le troisième pour les jumelles.
Jocelyne et Annick sont des femmes maintenant. Elles dorment ensemble dans un grand lit avec Catherine dans une chambre à elles tandis que le petit Bernard dort dans un petit lit dans
la chambre des parents.
Dans la pièce de vie, il y a une armoire et des chaises de vieux noyer avec des festons de paille vieillissante, dont le ton fumeux tachait
durement les murs peints en jaune clair, des hardes pendues à des clous, une cruche posée sur le carreau, près d'une terrine rouge servant de cuvette. Un bacquet en bois pour se laver au
retour de la fosse. Triste demeure. Une porte aux marches disjointes conduit à la cuisine où le fourneau de fonte tient la place centrale et à côté, un armoire à deux planches pour mettre la
vaisselle que sa maman appelle pompeusement "vaisselier", une table recouverte d’une toile cirée jaunie, un miroir brisé, un bac à charbon et contre le poêle, le garde manger. Au dessus de lui,
un crucifix. Au fond, une petite fenêtre noircie, fermée par un rideau blanc. Le bruit, la saleté la promiscuité et l’humidité sont partout. Epuisé, Zacharie s'endort. Aujourd’hui la mort a frappé. La mine a tué. Cela fait au moins un mois que Zacharie descend, jour après jour, braver
l’enfer de la mine sans que la sirène d'alerte ne se fasse entendre. Aujourd'hui, la mine nous a rappelé à quel point elle était dangereuse. L’eau, ennemie mortelle du mineur. Elle est partout,
elle s’introduit partout, elle suinte, elle coule… On ne peut y échapper. Une équipe était sur un front de taille quand l’événement s’est produit. Le pic d’un mineur a percé une poche d’eau, une
poche remplie d’eau et de gaz sous pression. Les hommes ont bien tenté en vain de colmater la brèche. Le jet était puissant, irrépressible. Ils ont dû fuir quand le mur s'est ouvert comme un barrage
qui s'effondre libérant les flots qui ravagent tout sur leur passage. Puis, le silence tombe. Chaque survivant constate l’horreur, la destruction et la mort de ses compagnons. L'annonce de la catastrophe parcourt les galeries indemnes tandis que dans la galerie inondée, les survivants, de l’eau
jusqu'à la taille, tentent d'atteindre le puits pour remonter vers la surface. Les heures passent … Enfin, les premiers rescapés arrivent à la surface et se réchauffent comme ils peuvent. Jules et son équipe, ses fils et tous les autres mineurs de la fosse rejoignent les sauveteurs et aident du mieux qu'ils peuvent. Un vieux mineur raconte les accidents qui avaient marqué à jamais la mine… Le vieil homme s’arrête les yeux vides, l’air pensif… Puis, il raconte à nouveau : "Je me rappelle, ce samedi-là, on travaillait de manière acharnée au fond. L’horreur arriva
avec la nuit." Un mineur lui dit : "Mais tais-toi donc, le vieux avec tes histoires
d'accidents et d'morts ! C'est pas l'moment ! Tu nous découragerais un
régiment de hussards teutons ! Cré sin milliard ! On a besoin d'espoir et de
courage à c't heure !" On remonte les premiers cadavres
qui sont placés en rangs dans un hangar transformé pour la
circonstance en morgue, et en chapelle ardente.> ... Les blessés sont
classés. Les blessés légers sont envoyés à l'infirmerie tandis que les
blessés plus lourdement atteints sont directement dirigés vers l'hôpital le plus proche.
Voilà, c'est fini. La mine a pris son lot de vies. Les sauveteurs
ont terminé leur travail. Les survivants de la galerie inondée et les
blessés légers sont rentrés chez eux. Pour les autres, on ne peut que
prier. Prier pour leur rétablissement, prier pour leurs âmes meurtries,
prier pour les familles éclatées. La berline-ambulance : On distingue le brancard , un plan de travail escamotable et un siège réservé
au secouriste qui accompagnait le blessé lors des premiers soins prodigués au fond, avant la remontée de ce dernier au jour, qui était ensuite évacué vers
l'infirmerie du carreau minier. Jules rentre chez lui, avec sa famille, silencieux, la gorge nouée, les yeux plein de larmes. La mine tue.
La mort qui passe, le cri de ses camarades, le bruit assourdissant... Ces nombreuses
images traversent son esprit. Un cauchemar éveillé! Il s’endort difficilement. Demain sera un autre jour... On fera un bel enterrement. Des Monsieur-Bien-Mis viendront causer, faire des beaux discours.
Il y aura le curé, peut-être le doyen ou même l'évêque, le maire, le directeur de la mine les
ingénieurs et puis il y aura le cortège jusqu'au cimetière... et puis le travail reprendra...
12.17. Le dimanche et la ducasse
La ducasse.... c'est une tradition vieille comme le temps, mais qui reste toujours jeune. Si de cela rien n'est changé, pouvons-nous en dire autant des distractions qu'on y trouvait dans ces ducasses ? La nouvelle génération des chevaux de bois. Les tout-petits, sur les manèges adaptés à leur taille et garnis d'autos miniatures et de bicyclettes faisaient des
efforts pour attraper le "pompon" qu'on appelle aussi "floche" qui leur donnait un tour gratuit (la première photo nous montre leur excitation). Le tir à la carabine avait toujours ses adeptes, petits et grands rivalisaient à qui casserait le plus grand nombre de pipes. Moments de bonheur intenses pour cet enfant savourant une glace sur un manège. Les premières autos tamponneuses. A la retraite, vers l'âge de 50 ans, les mineurs ayant-droits, conservaient leurs avantages au même titre que
lorsqu'ils étaient actifs : logement, charbon, soins médicaux....
Les habitations traditionnelles et standards des corons, d'avantage plus spacieuses, étant réservées aux membres actifs
des compagnies qui avaient des enfants.
L'intérieur d'une maison de pensionné des mines saisi dans le Nord de la France dans les années 60. On retrouve la cuisinière
à charbon traditionnelle, sur laquelle chauffe la soupe. L'ancien mineur se chauffe près du foyer en lisant son journal quotidien... Mais pour cela, il faut arriver à l'âge de la retraite. Pour cela il faut échapper aux accidents miniers. Outre les rhumatismes
et autres maladies articulaires dues à l'humidité régnant dans les galeries, il est un mal sournois, un fantôme invisible, une faucheuse implacable qui traîne dans les
galeries : la silicose. Ce mal a tué, tue encore et tuera encore bon nombre de mineurs. La silicose est une maladie pulmonaire chronique, provoquée par l'inhalation de microparticules de silice dans
les mines (et non de poussières de charbon); mais aussi dans les carrières, lors de percements de tunnel ou sur les chantiers de bâtiment. Il y avait Bob. Il vivait dans le coron d’Appaumée à deux pas de chez moi. La cinquantaine, il s'en allait, marchant,
plié en deux, courbé en avant comme un bossu... faire deux pas puis respirer, chercher l’oxygène et refaire deux pas... savoir doser son effort. Il suffoquait comme une vieille locomotive.
Maigre comme un clou... un mort vivant. A son âge, c'est bien difficile de devenir vieux. Mais la silicose est là et ne le laisse plus vivre. Il restait cloîtré chez lui, dormait assis
dans son fauteuil de peur de s'étouffer. Chaque jour, il se forçait d’aller se promener un peu dans son vieux coron, essayer encore une fois d'en faire le tour, voir les gens et rentrer
chez lui. Alors, il tirait sa vieille carcasse, doucement en trainant ses godasses. On l’entendait souffler, siffler, grincer, chuinter, comme s’il avait une nichée d’oisillons affamés
dans la poitrine. Puis il s’arrêtait, toussait, et crachait de la poussière noire mêlée à du mucus et à du sang. Il parlait doucement, respirait entre chaque mot et quand on lui parfait de sa vie au fond, c’était toujours pareil : "Ça fait partie
du train-train et du métier. On se protège plus ou moins avec un mouchoir. De toute façon, on n'a pas le choix. C'est ça ou on est muté au jour. Si vous voulez gagner de l'argent, il faut
aller au fond, il faut aller au charbon. Un mineur, il est fier, il va gratter, il sait pourquoi, malgré qu'il y laisse sa santé. Aussi longtemps que la bourrique elle tire, on l'utilise. Après,
c'est comme le citron, on peut jeter la peau. Et puis, de toute manière, la silicose, c'était une maladie d'ouvrier, tout le monde s'en foutait." Le rapport qu'entretiennent les mineurs avec cette maladie est complexe. Bob savait que c’est l’environnement poussiéreux qui
l’a tué, car il va en mourir, il le sait… en fait c’est le contraire… il est déjà mort mais il ne le sait pas encore alors il continue à vivre. Et pourtant il dit aussi : "Le gars qui
n'a pas de silicose, c'est un fainéant. Cela veut dire qu'il n'a jamais bien travaillé." Comme si la silicose était une blessure de guerre, une décoration funeste qui faisait de lui un
mineur de fond. C'est une histoire de morts, de vivants et de morts vivants, tous mineurs en plein bassin houiller, gueules noires, cernes de
suie autour des yeux. Au-delà de ce cliché, il y a la Faucheuse qui traîne au-dessus des têtes et le jugement des dieux. Afin de lutter contre cette terrible maladie professionnelle qu'est la silicose, les Houillères décrétèrent, dans les
années 50, l'usage au fond de ces masques anti poussières. Les corps sont meurtris, mais la terre elle-même est aussi meurtrie. Les galeries, creusées en son sein, s'effondrent petit à
petit les unes après les autres. Transmettant ces effondrement jusqu'à la surface, les terrains se déforment. En témoignent les dégâts dans les habitations des corons dus aux affaissements miniers.
L'enfoncement de la façade de cette maison est symptomatique. On distingue nettement le châssis de la fenêtre qui est complètement hors d'équerre.
C'était un métier dur, terrible, inhumain dit-on de nos jours. Mais que regrettent-ils donc ? interrogent les gens, sidérés. Ils regrettent la profonde humanité, la complicité du
cœur et de l’intelligence, la solidarité si forte, profonde, unique et vraie, le sens du compagnonnage, la durable amitié, la franchise, l’estime, le
respect et la confiance réciproques de l’ingénieur vers l’ouvrier et de l’ouvrier vers ses supérieurs, sans oublier l’attention toute empreinte de
tendresse pour des chevaux qui passent leur vie sans lumière, au fond des galeries, jusqu’à ce que la technique les remplace. Ces mines qui ont aussi
été la seule chance de reconversion et de réinsertion pour d’anciens repris de justice a qui on redonnait une chance sans rien leur demander. En d’autres
termes, une profonde humanité qui n’existait que dans ce milieu si particulier, au sens de l’humour, à la joie de vivre et à la générosité
inégalables. Cette conscience d’appartenir à un groupe social différent, possédant ses propres valeurs humaines, nobles et fortes. Les douleurs et les
joies sont réelles et sans artifice. Quand survient un accident au fond, il n’y a rien à
dire. Le silence au Borinage, à Charleroi, dans le Nord de la France ou dans le monde minier est plus éloquent que les pauvres paroles que l’on
pourrait prononcer. Ici, chacun est conscient des risques et des dangers du métier, chacun sait que l’irréparable peut arriver à tout moment malgré les
strictes et sévères mesures de sécurité, chacun connaît la fin possible si le destin en décide ainsi … chacun sait, l’accepte … et se tait … La douleur est
pudique, les paroles incongrues. Et pourtant … A l’heure où les mines se ferment, ces
hommes pleurent, regrettent déjà et sont abattus ; désormais, ils vivront de souvenirs et de nostalgie. Ayant appris que des possibilités d'emploi
dans le domaine des mines étaient possibles en Afrique, notamment au Congo (qui deviendra plus tard le Zaïre et ensuite la République Démocratique du
Congo) et en Amérique Latine, des géologues, des ingénieurs, des porions, des mineurs âgés de 45-50-55 ans, viennent
spontanément offrir leurs services à la mission économique belge : Français et Belges de nouveau réunis : ils en veulent encore, refusent l’inévitable, même au prix d’un déracinement.
Eux qui n’ont jamais quitté leur village, leur maison, ni leur famille vont demander et accepter de partir loin, dans des contrées mal connues ; ils vont devoir apprendre une
autre langue, s’intégrer à une culture différente et capter la confiance d’hommes dont ils ne connaissent rien. Avertis des différences et des
difficultés, ils partiront néanmoins, avec leurs épouses, elles aussi courageuses et décidées, et réussiront : tout, plutôt que de renoncer trop
tôt et "encore dans la force de l’âge", comme ils le disaient, à un métier qui est leur vie et qu’ils considèrent, non sans raison, comme l’un des plus
beaux et des plus généreux au monde. Au fil des ans, ils s’adaptent, se font des amis; parfois leurs familles viennent leur rendre visite. Ils rentreront
ravis, heureux, riches de cette nouvelle part de leur vie. Leur départ a lieu au milieu des violences des grèves de 1960. Là-bas, avec l’aide du Ministère de
la Coopération au Développement, la mission belge qui s’étoffe d’année en année, des mines se créent, se développent avec la même humanité, la même solidarité
et la même complicité entre la nature et les hommes. Mais la vie dans ces pays les enrichit également beaucoup. Si les accidents dus au grisou, bête noire des mineurs
de charbon, sont autant dire absents dans ce nouveau type de mines, (mines de pierres précieuses, mines de fer, mines de cuivre, mines d'argent, mines d'or...) par contre d’autres
imprévus les plus divers sont leur lot quotidien : la nature tropicale se déchaîne parfois, sans crier gare, sous forme de tornade ou de tremblement de terre; les mineurs sont en contact
avec des serpents, des scorpions, des crocodiliens et autres animaux sauvages; la société n’est pas ou peu sécurisée, ces états sont instables et les populations autochtones sont si proches
de la nature... Un jour n’est pas l’autre. Le regard sur la vie et la mort est plus naturel. La mort fait partie de la vie. Vivant au jour le jour, ces gens sont joyeux, vifs, intelligents,
sensibles, créatifs, combatifs et généreux. Ils acceptent avec philosophie les coups du sort lorsqu’ils se présentent : la vie est un phénomène en marche ; un jour la joie, un jour les pleurs.
Le soleil et la musique les y aident. Les douleurs passent … mais ne s’oublient pas, car ils ne sont pas fatalistes pour autant. Néanmoins, "Asi va la vida". En Belgique et en France aujourd’hui certains
charbonnages ont été transformés en musées. D’anciens mineurs y parlent de leur travail avec un enthousiasme et une fierté qui fait vibrer les
visiteurs, leur fait comprendre pourquoi ils aimaient tant leur métier, combien ils sont fiers de l’avoir exercé, et à quel point ils le regrettent. Un groupe social considéré avec une certaine
circonspection par le reste d’une société qui comprend mal, qui préfère ne pas trop s’approcher de ce peuple "noir", dont les violentes révoltes du
début du siècle sont pourtant à l’origine de nos sécurités sociales; une population que l’on dit si rustre et dont, pour tout dire, ils ont un peu
peur. Peuple certes des profondeurs de la Terre, mais dont l’œuvre contribue à les chauffer et à faire tourner l’économie. Un mineur n’a-t-il pas déclaré
à Constantin Meunier : "Merci, monsieur l’artiste. A part vous, qui s’intéresse à nous, les Gueules Noires ?" Un grand hommage à un grand artiste. Rustres ? Peut-être. Mais certes courageux, en tout cas détenteurs d’un savoir-vivre qui leur permettait
d’être naturels sans vulgarité et de la chose la plus précieuse au monde : l’intelligence du cœur. C’est en tout cas là, parmi eux et leurs enfants, que l'on peut voir, au fil des ans, les réelles et profondes
valeurs humaines, celles qui sont universelles et éternelles. Celles qui devraient aboutir. Pour me contacter, me faire part de vos idées, me poser vos questions, me laisser vos remarques,
cliquez sur l'image ci-dessous...
Chaque enfant apportait sa contribution financière ou personnelle dans les tâches familières, et leurs exigences et surtout leurs conceptions des vertus de la famille étaient bien différentes
de notre époque actuelle...
Les temps ont bien changés...
On gérait le ménage et la famille comme on le pouvait, ce n'était pas évident tous les jours, surtout pour l'épouse.
Le salaire du mineur n'était pas toujours à la hauteur de ses espérances, pour couvrir les besoins de sa famille tel qu'il le désirait...
Néanmoins, en dépit de leur dur labeur, ces générations entières de mineurs, nos
aïeux, nos parents vécurent heureux parmi les leurs...
Sur la photo, on reconnait Jules en un bout de table tandis qu'Elvire est à l'autre bout.
A la droite de Jules et en revenant vers Elvire, on reconnait Annick, la
lampiste; Jocelyne, la trieuse; Jacques, le galibot, porteur de lampes;
Anatole et le petit Bernard. A gauche de Jules et en revenant vers le
devant du cliché, on voit Zacharie, Jeanlin, les jumelles, Léonore et Myriam
et Catherine.
Partir dans les brumes fantomales des matins de juillet aux soirées de décembre, sabots ou galoches aux pieds. Pour le reste de sa vie, le temps s'accrochera aux deux molettes. La sirène de
la fosse comptera froidement, mécaniquement, les matins des années.
Descendre et travailler à la pioche dans les bois tordus... et les wagons et la nuit drue et l'odeur des chevaux fous et la poussière et la boue et les roues qui tournent... Le travail sera
dur, la poussière mauvaise, tout ça pour un peu plus de pain pour la famille : ce sera désormais sa mission.
Il sera mineur, par la pelle et la pioche, par la lampe qu'il tiendra à la main, par son mal de reins, par sa gueule noircie, par les bleus sur son corps, par le charbon qui coule, déboule et
s'écroule comme un torrent sur son dos, sur ses pieds en cascade en griffant tout ce qu'il touche.
Rentrer le soir dans le brouillard des bistrots, là où se refait le monde, là où parfois la colère gronde... ce sera désormais son monde.
Les mineurs ont eu tout de suite de l'eau jusqu'aux genoux et ils ne pouvaient plus courir, ils fendaient péniblement le flot, avec la pensée qu'une minute de retard allait être la mort. L’eau envahit
toute la galerie, une vague énorme renversant dans un grondement hommes, chevaux, berlines...
La sirène d'alarme retentit et annonce à tout le coron, à toute la cité minière, à toute la ville que quelque chose de grave est arrivé à la fosse. Les familles accourent et se pressent devant
la grille. Elvire ne fait pas exception. Elle court vers la fosse, rejointe par ses filles et ses fils. Jules, Jacques et Zacharie sont au fond. Tous et toutes attendent des nouvelles
de leurs proches. Que s’est-il passé ? Quelle est l’ampleur du drame ?
Des ouvriers sont-ils prisonniers des galeries ? Jules, Jacques et Zacharie
sont-ils indemnes ? Font-ils partie des victimes ? Blessés ?
Ou pire ? Le terrible et impitoyable grisou a-t-il encore frappé ? Y
a-t-il des blessés ? Des morts ? Si Jules et les autres sont saufs, quand
rentreront-t-ils ? Demain ? Après-demain ? … C’est l’attente qui commence,
meublée d’autant de questions pour Elvire, les enfants et les autres devant
les grilles.
Elvire sait maintenant que son mari et ses deux fils n'étaient pas dans la galerie inondée. Elle ne s'inquiète plus pour eux mais pour les autres.
"Le plafond de la mine où on travaille n’est guère solide. Il pourrait bien s’effondrer tout d’un coup. Ma foi ! Crever ça m’est égal. Mais il faudrait ne pas souffrir. Quand du moins, ça vous
tue sur le coup sans qu’on s’en aperçoive, c'est pas encore trop grave. Ca l'est pour ceux qui restent ! Ah ! J’en ai vu des éboulements, des camarades tirés en bouillie de dessous le remblai
ou le charbon... J'ai vu des blocs qui tombent du toit, un cuvelage qui cède ou même un puits qui s’effondre. L'éboulement c’est bien le danger le plus constant ! Un front de taille qui
s’écroule, une galerie qui s’écrase, broyant les mineurs dans l’enchevêtrement des poutres et des rochers… Rares sont les survivants..."
Soudain, un mot brise le silence "Le grisou". Ce simple mot jette l’effroi dans le regard de chaque personne qui écoute l'histoire. Et le vieil homme continue son récit...
"Au milieu des ténèbres une détonation cinglante. Un ouragan, un cyclone, une trombe, brûlant, renversant et détruisant tout sur son passage ! Une explosion de gaz des mines ! On remonta les
corps, on les entassa, l’odeur était insupportable…"
Dans un soupir le vieil homme se tait, la mine était en deuil.
On peut voir les tampons amortisseurs de fortune réalisés avec un pneu de poids lourd sectionné.
Les mineurs investissaient beaucoup de leur savoir et de leurs astuces dans les outils et l'environnement du fond, afin d'amméliorer leurs conditions de travail.
Cette ambulance du fond a certainement du accompagner, à maintes reprises, les blessés des chantiers, notamment ceux atteints de fracture des membres inférieurs, dans un certain confort et surtout
en toute sécurité.
Elle était tractée occasionnellement par un locotracteur servant aux convois des berlines de charbon.
C'est la fête officielle de la ville et qui revient plusieurs fois par an avec ses joies, ses réunions familiales et les réjouissances qu'elles comportent, pour les grands comme pour
les petits.
A la maison, la semaine qui précédait la ducasse c'était le branle-bas.
C'était le grand nettoyage et surtout c'était chose plus sérieuse encore : la confection de tartes, qui en ce jour de liesse étaient de rigueur.
C'était aussi pour les enfants un évènement bien marquant.
Dés la sortie de l'école, ils se précipitaient à la découverte des nouveaux jeux et manèges qui venaient s'installer sur les places. Ils en oubliaient même de rentrer pour l'heure
des repas.
Où sont les anciens manèges de chevaux de bois, actionnés par un cheval (un vrai !) qui, pendant trois jours, ne faisait que tourner sur une piste de quelques mètres ?
Que sont devenus les manèges à chaînes (appelés vulgairement casse-gueules) où les jeunes gens afin de profiter de quelques tours gratuits, devaient monter sur une plate forme, s'arc bouter sur
les bâtis pour faire tourner l'appareil ?
Ils ont disparu les flonflons que les orgues de barbarie déversaient à longueur de soirée en engrenant leurs cartons perforés.
Le progrès est intervenu, l'électricité a remplacé l'acétylène et elle a permis de belles réalisations.
Toutes les attractions sont vite devenues des fééries de lumière, de couleurs, de son.
Les pick-up ont pris petit à petit la place des orgues et les pauvres habitants voisins des "places de ducasse" n'en dormirent pas mieux pour cela.
Incontournables moments de bonheur pour les enfants de mineurs et les parents de ces derniers pour ces festivités très attendues tout au long d'une année.
La ducasse était l'évènement phare des communes de Wallonie et du Nord de la France.
Chacun y trouvait son bonheur, les enfants surtout !... mais les grands aussi.
De nombreuses attractions étaient proposées, outre les traditionnels manèges, tels que les chevaux de bois, les casse-gueules, ces balançoires en forme de barque; mais aussi la grande roue
l'attraction la plus prisée qui n'était pas toujours présente dans toute les villes.
Il y avait aussi les marchands ambulants qui proposaient parmi tant d'autres, les fameux nougats et autres bonbons, les barbes-à-papa, les baraques à frites délicieusement cuites au blanc de
bœuf,
agrémentées de saucisses avec des oignons cuits et un peu de mayonnaise.
Mais aussi, les bals montés dans des baraquements éphémères, où l'on guinchait tard dans la nuit; et en clou final, le tant attendu feu d'artifice qui faisait briller de par ses lueurs féeriques,
les yeux de nos chères petites têtes blondes quelque peu fatiguées d'avoir patienté jusque cet évènement tardif...
Les ducasses étaient aussi l'occasion pour les plus grands, de participer à différents concours ou jeux organisés, tels que les combats de coqs, les concours de pigeons, les courses en sac, le fameux
mât de cocagne...
Tant d'instants de bonheur qui faisaient oublier aux mineurs de façon éphémère, leur dur labeur quotidien...
Que de souvenirs ! ...
Elles ont toujours eu leur grand succès; il fallait attendre quelque fois bien longtemps pour avoir une des voitures si demandées.
Les amateurs d'émotion fortes trouvaient même l'avion à réaction dont l'utilisation ne pouvait cependant pas être considérée comme un baptême de l'air...
Que de souvenirs pour les nostalgiques de certaines générations qui se reconnaîtront...
Ils devaient cependant, occuper des logements plus petits que les houillères privées ou nationales avaient spécialement construits à leur égard.
Ainsi furent érigées ce que l'on nommait les maisons de pensionnés.
Elles étaient bien souvent composées de 2 pièces : une principale, qui faisait office à la fois de cuisine, salle à manger et salon et une chambre.
Elles avaient aussi une petite cave où l'on stockait le charbon.
Dehors, dans la cour, se situaient les toilettes et une dépendance, sans omettre un jardinet implanté derrière l'habitation.
C'est la plus ancienne forme de pneumopathie professionnelle décrite dans les ouvrages médicaux.
Elle a frappé à grande échelle, notamment en France et en Belgique, les mineurs de charbon à partir des années 1920 lors de l'emploi généralisé au fond des machines mécaniques d'extraction
lourdes (marteaux-piqueurs, perforateurs), sans que soit recherchée la neutralisation des poussières par pulvérisation d'eau et protections respiratoires adaptées.
Au fond, les traceurs en bowettes furent les mineurs les plus concernés par cette très grave pathologie. Les bowettes étaient des voies de circulation taillées à même les roches de silice, elles
donnaient accès aux voies de tête et de pied délimitant les tailles d'exploitation houillères.
Cette maladie entraîne une inflammation chronique et une fibrose pulmonaire progressive. Elle se traduit par une réduction progressive et irréversible de la capacité respiratoire (insuffisance
respiratoire), même après l'arrêt de l'exposition aux poussières. Elle se complique quelquefois d'une tuberculose.
L'anthracose est une maladie professionnelle des mineurs due à l'infiltration des poumons par des poussières de charbon inhalées. Même abondante, cette infiltration ne provoque pas de réaction
fibreuse et serait inoffensive si elle ne se combinait pas à la silicose. C'est la silice qui est à l'origine des accidents pulmonaires de l'anthracose. On parle alors d'anthracosilicose.
Le diagnostic est porté sur les images radiologiques caractéristiques et sur les antécédents d'exposition à la poussière de silice.
Quelle famille de mineurs de notre région, n'a pas connu un de ses proches, bien souvent jeune, disparaître des conséquences de cette maladie ?.....
Au début du XXème siècle, la durée de vie moyenne d'un mineur de fond de notre région, affecté au traçage et à l'abattage était de 41 ans...
Lourds à supporter, avec les conditions pénibles de chaleur et d'humidité dominant au fond, les mineurs ne purent les supporter, et abandonnèrent très vite leur usage imposé.
Certes. Même après la guerre, malgré les améliorations techniques et sociales, ce travail reste le plus dur de tous. Alors pourquoi ? … Pourquoi
ceux qui ont exercé cette profession, ingénieurs, porions et mineurs de fond, pourquoi donc ces gens regrettent-ils tant leur métier et son ambiance,
malgré les maladies, les dangers et les larmes qui l’accompagnent ?
Car tous, sans exception, en parlent avec nostalgie et émotion, tous ont été brisés lorsque les charbonnages se sont fermés l’un après l’autre. Et les raisons de
ce profond désarroi, de cette profonde tristesse n’étaient pas l’inquiétude de l’avenir : à cette époque, du travail ils savaient qu’ils en
retrouveraient.
Car ces gens vivaient d’abord avec leur cœur.
C’est là que l'on peut apprendre à considérer tout homme et toute femme. C’est là que nous pouvons comprendre le caractère vain, superficiel et déplaisant de l’arrogance, de
la suffisance, de la prétention, de la condescendance et des mondanités.
C’est là que nous pouvons apprécier ce que signifient les mots "accueil" et "bonté". C’est là que que nous pouvons apprendre à accepter, à respecter et à vivre avec les
différences.