Le Carbonifère : Le peuple de la mine (6)
La mine et ses installations de surface : la partie visible de l'iceberg car en dessous ce n'est qu'un dédale de galeries.
Dessin L.V.B.Le charbon dans sa réalité matérielle, objet de toutes les convoitises des 18ème, 19ème et 20ème siècle...
Tant de sueur, de larmes et de sang pour ces quelques cailloux noirs...
Entrée
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Recherches annexes
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Le Carbonifère |
1. Le Carbonifère 1.1. Etymologie et définition 1.2. Caractéristiques du Carbonifère 2. Les paysages du Carbonifère 2.1. Orogénie 3. La Belgique productrice de minerais |
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Le Carbonifère inférieur : Viséen - Tournaisien |
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Le Carbonifère supérieur : Westphalien - Stéphanien |
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L'exploitation minière du Charbon (1)
6. L'exploitation du charbon |
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L'exploitation minière du charbon (2)
7. L'exploitation du charbon L'exploitation minière du charbon (3)
8. Quelques thèmes pour continuer le tableau L'exploitation minière du charbon (4)
9. Les systèmes d'éclairage L'exploitation minière du charbon (5)
10. Les accidents miniers Le Peuple de la Mine (1)
11. Il était une fois le peuple de la mine
12. Quelques semaines, en compagnie d'un mineur
et de sa famille
12.1. Au petit matin
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11. Il était une fois le peuple de la mine
11.1. Introduction
11.2. La découverte du charbon
11.3. Petite histoire de l'exploitation du charbon11.3.2. La houille et la révolution industrielle
11.3.3. Les nouveaux riches
11.3.4. Les nouveaux riches et le pouvoir
11.3.5. La classe ouvrière
11.3.6. La classe ouvrière s'organise11.3.7. Zola et Germinal
11.3.8. Les thèmes de Zola11.3.9. Le Paternalisme
11.3.10. La Déclaration de Quaregnon
11.3.11. Le Syndicalisme11.3.12. Les conflits sociaux de 1886 en Wallonie
11.3.13. Nouvelles lois suite aux grèves11.3.14. La grève de 1906
11.3.15. Les premiers immigrés
11.3.16. Les grèves de 1913
11.3.17. La Première Guerre Mondiale11.3.20. La Deuxième Guerre Mondiale
11.3.21. L'Après Guerre
11.3.22. Les années '50 et suivantes : Le DéclinIntroduction
Les Chorales, Harmonies et Fanfares
Les Géants
Le Jardinage
La Colombophilie
Le Javelot
Le SportLe Football
Le Cyclisme
Le Tir à l'Arc et les Jeux d'IndiensLes Combats de Coqs et les Coqueleux
Les Guinguettes
Les Bouloirs
Les Kermesses, Ducasses, Braderies et autres Fêtes PopulairesRésultant des conséquences de la catastrophe des mines de Courrières, où 1099 ouvriers mineurs ont perdu la vie à 400 mètres sous terre, le 10 mars 1906, une grève est déclarée dans la totalité du bassin du Nord Pas de Calais.
C'est en ces lieux, face à l'actuel parking de l'Europe, dont le site est de nos jours presque identique à ce cliché d'époque, qu'arrivaient par trains complets, les mineurs des villages et communes avoisinants de la fosse n° 1 de Bruay .
On distingue en arrière plan, l'église Sainte Barbe encore parfaitement conservée aujourd'hui.Je partage avec vous cette ancienne carte postale de l'époque concernant ce sujet.
Elle comporte un texte manuscrit au recto daté du 02 avril 1906 et qui dit : "C'est heureux pour ces mineurs les grévistes car les hommes sont bien disposés à leur f..... une raclée dont ils se souviendront. Ici à Bruay, tout le monde travaille aussi les mineurs de Lens et des environs veulent venir ici pour les faire interrompre le travail "Ce qu'on voit sur la carte postale et le commentaire peut nous laisser imaginer ce qu'elle représente réellement : "Bruay : Arrivée d'un train ouvrier".
On peut concevoir deux hypothèses :
- soit ce sont des ouvriers grévistes qui débarquent du train en direction des mines encore en exploitation. Ils désirent y faire arrêter le travail, débaucher les ouvriers, fermer les installations et installer des piquets de grève qui vont interdire l'entrée du personnel administratif et des mineurs sur le site. Pour ce faire, ils vont se heurter aux non grévistes, partisans du patronat et aux militaires chargés de garder le site.
- soit ce sont des ouvriers non grévistes venant d'ailleurs, engagés comme des mercenaires, qui, aidés par les militaires, vont pénétrer sur les sites à l'arrêt et tenter de remettre les installations en fonction pour que la production puisse reprendre. Pour ce faire, ils vont se heurter aux grévistes et aux piquets de grève.De toute manière, il y aura confrontation, bagarre, morts et blessés, car la négociation n'est pas dans les mœurs à cette époque.
Les anarchistes de Broutchoux mènent de front ce conflit dont l'épicentre est situé à Lens.
Conscient que ces émeutes risquent d'alourdir les pertes humaines liées à la catastrophe ainsi que la perte d'exploitation déjà fortement engagée, l'état français mobilise 20.000 soldats qui quadrillent l'ensemble du bassin minier durant cette sombre période.
C'est au cours de la nuit du 17 mars 1906 qu'arrivent à Bruay les premiers renforts militaires dont des hommes du 21ème régiment de dragons, qui s'associent aux mineurs non grévistes pour chasser les partisans de Broutchoux des installations de la compagnie minière.Le Petit Journal, supplément illustré du 6 mai 1906 relatant les faits d'agitation révolutionnaire au Pays Minier et insistant sur l'arrestation d'émeutiers dans les corons (alors qu'ici, manifestement, celui qui est arrêté est encore dans son lit !) le Petit Journal est un quotidien parisien républicain conservateur fondé par Moïse Polydore Millaud et qui parut entre 1863 et 1944. Il est clair que ce journal présentera et défendra le point de vue du patronat et jettera l'anathème sur toute revendication populaire jugée anarchiste ou communiste.
Après quelques périodes de grève partielle, le travail reprend normalement son cours le 23 mars.
21ème régiment des Dragons déployés aux abords des mines de Bruay en 1906 lors des grèves pour protéger les installations des anarchistes.
Grève des mineurs dans l'Est de la France à Forbach en 1906.
Arrivés il y a un siècle dans les mines du Nord - Pas-de-Calais, les Polonais représentent la plus importante source d'immigrants jamais enregistrée dans la région.
Ils sont aujourd'hui pleinement intégrés, et de façon remarquable. Ce phénomène est d'autant plus étonnant que les premiers migrants polonais étaient hostiles à cette idée. Ils n'avaient qu'un objectif en tête : gagner assez d'argent pour rentrer vivre décemment au pays. C'est en 1909, avant la Première Guerre mondiale que tout commence. Le bassin minier du Nord - Pas-de Calais, alors confronté à des difficultés de recrutement, fait appel à cette main d'œuvre étrangère.
Les compagnies font venir des Belges, des Italiens et des Polonais.
Les premiers Polonais viennent des mines d'Allemagne. D'abord installés dans la Ruhr et en Westphalie essentiellement, où ils ont déjà migré une première fois. Ils fuient la germanisation à outrance qui s'exerce sur eux jusqu'à les empêcher de parler leur langue dans la rue. En France, ils se font embaucher par les industriels français du charbon et se montrent rapidement très qualifiés grâce à leur savoir-faire. Rapides et dociles, ils sont particulièrement appréciés des patrons. La guerre déclarée, de peur des représailles teutoniques, ils sont évacués vers le Massif central.
Le Taylorisme, du nom de son inventeur, l'ingénieur américain Frederick Winslow Taylor (1856-1915) est appliqué dans les mines d’Europe à partir des années 1900. Cette doctrine économique désigne une forme d'organisation scientifique du travail (OST) définie à partir des années 1880.
Qu’est-ce que cela implique concrètement ?
Dans un monde où la division du travail est déjà la norme, pour obtenir des conditions propres à fournir le rendement maximum dans le cadre d'une organisation, le taylorisme préconise :
- Une analyse détaillée et rigoureuse — d'où l'accent mis sur le qualificatif de "scientifique" — des modes et techniques de production (gestes, rythmes, cadences, etc.) ;
- L'établissement de la "meilleure façon" (the one best way) de produire (définition, délimitation et séquençage des tâches) ;
- La fixation de conditions de rémunération plus objectives et motivantes.Taylor systématise sa méthode, qu'il expose dans un livre, intitulé "The Principles of Scientific Management" (La Direction scientifique des Industries) paru en 1911. Cet ouvrage s'inscrit dans la première vague de modernisation des industries des années 1850.
L'organisation scientifique du travail telle que la conçoit Taylor se comprend assez bien dans le contexte d'essor de l'industrialisation. Taylor estime qu'il est impossible de réaliser une production de masse sans un minimum d'organisation et de discipline. Or, ce qu'il voit à la fin du XIXème et au début du XXème siècle dans les ateliers ne va pas dans ce sens : le travail réellement collectif est un mythe tant les comportements individuels, enfermés dans des logiques de métiers fortement corporatistes, ne contribuent en aucune manière à la cohérence ni à la collaboration. L'état d'esprit, les réflexes, les comportements dominants demeurent artisanaux et individualistes, alors qu'il s'agit de faire œuvre d'industrie.
Taylor rapporte cette anecdote dans son livre "La Direction Scientifique des Entreprises"(Est-elle réelle, inventée de toute pièce pour corroborer ses dires, vraie mais exagérée dans les chiffres ? Nul ne peut le dire...) :
"La scène se passe aux États-Unis en 1898 dans une aciérie. Une équipe charge dans des wagons des lingots de fonte. Chaque ouvrier prend un bloc, pesant 40 kg chacun, avance sur un plan incliné qui conduit au wagon et jette sa charge dans le fond. Au bout de sa journée, il en a ainsi transporté treize tonnes.
Un monsieur s'approche de l'un des ouvriers, un petit Hollandais [...]et lui dit :
- Vous gagnez un dollar quinze par jour, je crois, dit le monsieur. [...] Voulez-vous gagner désormais un dollar quatre-vingt-cinq ?
- Que faudra-t-il faire ?
- C'est tout simple. Quelqu'un viendra demain et vous ferez exactement ce qu'il vous dira toute la journée. Quand il vous dira de prendre un bloc de fonte et de le transporter, vous le ferez. Quand il vous dira de vous asseoir et de vous reposer, vous le ferez. Sans discuter. Un bon ouvrier fait ce qu'on lui dit et ne discute pas. Nous verrons de quoi vous êtes capable."
Le lendemain, les choses se passent exactement ainsi. Le petit Hollandais se met au travail et toute la journée, l'homme qui se trouve auprès de lui, avec un chronomètre, lui dit : Maintenant ramassez un lingot et transportez-le; maintenant asseyez-vous et reposez-vous... travaillez... reposez-vous.
Le petit Hollandais obéit sans discuter. Et à cinq heures et demie, il touche en effet septante cents de plus que d'habitude.
Il faut préciser que ce jour-là, il n'avait pas manipulé treize tonnes, mais cinquante."Taylor plaide pour une double clarification. Selon son point de vue, le travail d'organisation - pour être complet - doit être clairement déployé et articulé selon deux dimensions complémentaires :
- La dimension verticale : Il s'agit d'établir une stricte distinction entre d'une part les tâches de conception du travail et de formation et d'autre part celles dites d'exécution. Les ingénieurs pensent le travail et les ouvriers doivent l'exécuter conformément aux instructions et à la formation que les premiers leur fournissent. On appelle les ingénieurs les "cols blancs" et les ouvriers les "cols bleus".
- La dimension horizontale : Il faut décomposer le processus de production d'un bien en une suite de tâches simples confiées chacune à un ouvrier spécialisé. L'objectif est d'identifier la manière la plus efficace de découper le travail. Doivent être chargés de cette mission, des ingénieurs qui de manière scientifique vont chronométrer chaque mouvement élémentaire, éliminer les temps inutiles, étudier les meilleurs outils pour réaliser chaque mouvement, définir un temps optimal pour chaque stade de production, rédiger les recettes de fabrication.Déshumanisation de l'ouvrier, plus aucune prise de décision. Tâches répétitives simples et aliénantes exécutées sans réflexion dans un schéma global que l'ouvrier ne comprend pas. Ces tâches répétitives posent parfois aux ouvriers des problèmes de santé au travail ou d'attention (pouvant se traduire par une augmentation du taux de malfaçon). La répétition indéfinie des mêmes tâches se traduit chez l'ouvrier par l'apparition de troubles musculo-squelettiques constatés par les médecins du travail. L'affectation du moral, pouvant aller dans certains cas jusqu'à l'atteinte psychique plus sérieuse liée à l'absence de perspective d'évolution. Chronométrage imposant un quotat de production. Si ce quotat n'est pas atteint, l'ouvrier peut être remplacé sans problème vu que chaque tâche est d'une simplicité enfantine. Les licenciements s'enchaînent et l'ouvrier est réduit à l'état de machine idiote qui fait ce qu'on lui dit dans le temps impartit qu'on lui impose.
Dès 1913, le taylorisme essuie des critiques, ainsi pour le journal l'Humanité d'alors, le taylorisme n'est qu'une généralisation du travail aux pièces employé par le patronat pour réduire les salaires.
Si l'intention initiale est d'organiser les ateliers et les postes de travail pour une moindre fatigue de l'ouvrier (la juste journée de travail), le résultat final obtenu, constaté sur le terrain, ne comporte pas que des aspects positifs.
Du fait qu'il n'y a aucune place pour l'imprévu, les opérateurs exécutants sont placés dans une situation de dépendance. Chaplin, dans le film "Les Temps Modernes", tourne en dérision cette méthode de travail qui laisse peu de place à l'être humain. Les ouvriers sont utilisés comme des machines : ils effectuent continuellement le même geste, sont chronométrés et ils sont licenciés dès lors qu'ils ne sont plus suffisamment productifs.
La division verticale du travail, selon laquelle il y a des gens qui pensent et d'autres qui exécutent, représente une véritable mutilation sociale : d'une part elle enferme une foule de personnes dans un cadre déshumanisé, d'autre part elle méprise la capacité d'évaluation et de proposition qui existe chez n'importe quel participant à une action ou un processus déterminé.
Dans les mines de charbon, les ouvriers mineurs ont vu apparaître le chronométrage qui a fait augmenter les cadences au détriment de la sécurité. Le mineur devait produire, produire de plus en plus et ne trouvait plus le temps de boiser correctement. Des soutènements de fortune faisaient place au boisage systématique et sécurisé si bien que des accidents eurent lieu. La réponse des travailleurs fut rapide : une grève générale fut déclenchée en 1913.
Réunion de mineurs grévistes à Courrières en 1913.
Les gendarmes sont présents devant les grilles pour contenir les éventuelles émeutes.
Les rues de Lens se vident.
En Belgique, il est autrement. Aux élections législatives de 1912, les catholiques, au pouvoir depuis 1884, remportent une nouvelle victoire.
Cependant, les dés sont pipés : Confortés dans leur logique, les détenteurs du pouvoir optèrent de 1831 à 1893 pour le suffrage censitaire : le droit de vote et d’éligibilité étaient réservés aux personnes ayant payé un minimum d’impôts (le cens) et qui, par conséquent, étaient assez riches pour payer des impôts. A côté du suffrage censitaire existait aussi le suffrage capacitaire. Ce droit était reconnu à un petit groupe qui ne payait pas le minimum d’impôts mais qui possédait un diplôme en médecine ou exerçait une profession de notable : magistrats, avocats, notaires et officiers supérieurs.
En somme, le pouvoir et la politique sont des choses qui ne regardent que les riches et les notables. Le peuple en est exclu.
Devant les revendications pressantes de la gauche (Parti Ouvrier Belge, Parti Socialiste, syndicats de gauche...) le gouvernement accepte de modifier la contitution et adopte le suffrage Universel... enfin une sorte de suffrage universel...
En Belgique, le suffrage plural est utilisé de 1894 à 1918, sur proposition d'Albert Nyssens. Le but du suffrage plural est alors de limiter l'impact du suffrage universel et de trouver ainsi un compromis entre les partisans du suffrage universel et les partisans du suffrage censitaire.
Qu'est-ce que le suffrage plural? Tout citoyen masculin de plus de 25 ans a une voix, mais selon certains critères, certains électeurs peuvent avoir jusqu'à deux voix supplémentaires selon un ou deux des critères suivants :
1 : en tant qu'électeur capacitaire, c'est-à-dire détenteur d'un diplôme de l'enseignement secondaire;
2 : en tant que chef de famille de plus de 35 ans, payant au moins 5 francs de taxe de résidence;
3 : en tant que détenteur d'un livret d'épargne de 2.000 francs minimum, ou bénéficiaire d'une rente viagère de 100 francs.Ce système électoral antidémocratique conduisit à la défaite du Cartel libéral-socialiste au profit du parti catholique. Le 3 juin, au 1912, au lendemain même de l'échec électoral, la fureur de la classe ouvrière fut à la mesure des espérances qu'avait suscitées en elle la perspective d'une défaite catholique. Se sentant floués par ce scrutin faussé, les masses laborieuses initièrent un mouvement spontané de protestation qui mit une forte pression sur la direction du Parti Ouvrier.
Pourtant, le 1er juin 1912, à la veille du scrutin, l'éditorialiste du journal Le Peuple estimait que selon les prévisions les plus pessimistes, les gauches libérale et socialiste disposeraient à la Chambre d'une majorité de cinq sièges. Dès que la défaite du Cartel fut connue, ce fut l'effervescence à Bruxelles et en Wallonie. Dans la capitale, le début du moi de juin fut agité par des manifestations houleuses et violentes initiées par les jeunes libéraux et les jeunes gardes socialistes qui scandaient "Vive la Révolution".
En Wallonie, les troubles prirent un aspect plus dramatique : il y eut des morts à Liège et, inévitablement, une vague de grèves dans les bassins industriels fit tache d'huile. Dans la seule région de Charleroi, le nombre de grévistes dépassa 45.000 à la date du 6 juin alors qu'il y en avait 40.000 dans le bassin liégeois. Henri de Man, dans son article de la "Neue Zeit" parle d'un chiffre global de "plusieurs centaines de milliers de grévistes", ce qui paraît donner au mouvement une ampleur qu'il n'a sans doute jamais eue si ce n'est dans sa spontanéité.
Le 6 juin, une manifestation à La Louvière, partie de la base et non pas d'une quelconque organisation syndicale ou de parti de gauche, réunit, selon les rapports de gendarmerie, 20.000 à 30.000 participants. Les seules interventions syndicales ou politiques que l'on put relever sont simplement des appels au calme lancés par des chefs syndicaux et des délégués du Parti Ouvrier. Comme l'écrivent Emile Vandervelde, Louis de Brouckère et Laurent Vandersmissen, "le Bureau du Conseil Général, réuni d'urgence, décide de déléguer ses membres en province, avec mandat de n'épargner aucun effort pour arrêter le mouvement". Ces "efforts" rencontrèrent auprès des masses une opposition acharnée qui en dit long sur l'état d'exaspération qu'elles avaient atteint. Le mot d'ordre de reprise du travail lancé par le Conseil Général fut particulièrement mal accueilli. Commele dit un article de l'époque : "Le peuple prépare le grève générale, il la veut formidable et irrésistible; mais il la veut aussi déterminée et pacifique... Ainsi, il avait été décidé d'éviter "tout ce qui peut occasionner de grands rassemblements", de contrôler l'accès des "Maisons du Peuple" et d'y interdire, pendant toute la durée de la grève, le débit d'alcool. En outre, les grévistes seraient protégés contre les tentations de l'oisiveté et les risques des manifestations politiques : on organiserait à leur intention des "conférences récréatives", des visites aux musées, des promenades champêtres, des réunions sportives". D'autre part, rien ne fut fait pour étendre la grève par l'organisation de piquets. On réussit ainsi à donner à la grève une allure de calme et de discipline qui fut un de ses aspects les plus caractéristiques.
Le 7 juin 1912, la grève prit fin avec l'assurance pour le peuple de voir naître un débat politique visant à modifier la Constitution et arriver à la concrétisation d'un Suffrage Universel.
Il convient aussi d'insister sur les dispositions extrêmement conciliantes dont la plupart des chefs socialistes firent preuve tout au long des négociations entre les milieux gouvernementaux et l'opposition, pendant les mois qui précédèrent le déclenchement de la grève. Au centre de ces négociations se trouvait la proposition faite par Paul Hysmans, le 29 janvier 1913 à la Chambre, et visant à créer une commission d'étude "dont le programme plus large que celui qu'avait un instant envisagé le gouvernement, embrasserait l'électorat législatif aussi bien que l'électorat provincial et communal". Ce que réclamait Emile Vandervelde c'était "l'espoir pour le peuple d'obtenir la justice". Mais la proposition de révision fut repoussée jusqu'en février 1913.
Le peuple, de nouveau brimé par le pouvoir des riches repartit dans un mouvement de contestation sévère.
Le 12 février 1913, le "Comité National du Suffrage Universel et de la Grève Générale" fixait au 14 avril le déclenchement du mouvement. Peu après, intervint une tentative de conciliation entreprise par les bourgmestres des chefs-lieux de province. Ils crurent pouvoir négocier une suppression de la menace de grève, suppression qui serait interprétée comme un geste de conciliation et d'apaisement. Emile Vandervelde assura qu'il ne s'agissait pas là d'une remise de la grève à une date ultérieure, mais bien du retrait pur et simple de l'ordre d'arrêter le travail.
Malheureusement, lorsque la Chambre se réunit, le 12 mars 1913, le comte de Broqueville, poussé par une partie de la Droite, lia la révision constitutionnelle au résultat des élections législatives de 1914. Les ponts avec le peuple, une fois de plus, étaient coupés. Les 23, 24 et 25 mars 1913, le Congrès annuel du Parti Ouvrier Belge, examina la situation et l'opportunité de la grève. Parmi
les principaux leaders, Emile Vandervelde, Paul Hymans, Louis de Brouckère et Hector Denis, se prononcèrent contre la grève tandis que Jules Destrée et Edouard Anseele, l'approuvaient au contraire et en fixait le déclenchement au 14 avril. Elle fut votée à une formidable majorité.Au cours des débats, Edouard Anseele avait affirmé que ce serait une grève calme, pacifique. Le déroulement même de la grève fut conforme aux préoccupations de ses organisateurs et leurs préparatifs s'avérèrent efficaces, notamment ceux destinés à lui conserver son caractère paisible. La spécificité de la grève générale de 1913 tient justement dans son calme, un calme qui ne fut pratiquement jamais troublé. Des soupes populaires furent prévues pour aider les plus défavorisés, quelques défilés et manifestations furent organisées, mais tout dans le calme serein d'une guerre d'usure.
Soupe populaire en 1913.
La grève générale prit fin le 24 avril suite à une déclaration anodine du comte de Broqueville, déclaration qui n'avait pas échappé à Emile Vandervelde, soucieux d'exploiter la moindre ouverture récupère ses dires et les transmet à la base. Le comte de Broqueville avait, le 16 avril à la Chambre, affirmé que "[...] si on arrive dans cette commission à trouver sur le terrain provincial et communal une formule supérieure au système actuel, même en ce qui concerne les Chambres législatives, cela incitera évidemment les membres sujets à réélection à en parler à leurs électeurs... Alors quel est celui d'entre nous qui s'opposerait à ce qu'une révision puisse être faite ? Ce serait contraire au bon sens." Une révision de la Constitution allant dans le sens du Suffrage Universel serait enfin envisageable ? En tout cas, c'est ce qu'il laisse entendre...
Même si une grande partie du gouvernement de droite était réfractaire à toute modification de la législation électorale, on sait que le comte de Broqueville, chef du gouvernement, était personnellement favorable à une révision constitutionnelle, différée de quelques années, et consacrant non le Suffrage Universel pur et simple à 21 ans, mais le suffrage à 25 ans avec une double voix au père de famille. Il savait aussi que le roi Albert Ier lui aussi souhaitait une révision de la Constitution.
Le Parlement vota donc un ordre du jour prenant acte de l’intention du gouvernement de créer une Commission chargée d’examiner les possibilités d’une réforme électorale.
Malheureusement, la guerre 1914-1918 met un terme aux travaux de la Commission. À la fin de la guerre, la légitimité du suffrage universel s’impose avec une telle évidence que le Roi Albert Ier, devançant les nécessaires travaux de modification de la Constitution, annonce devant les Chambres que "l’égalité dans la souffrance et dans l’endurance a créé des droits égaux à l’expression des aspirations publiques".
Le gouvernement proposera aux Chambres d’abaisser, dans un accord patriotique, les anciennes barrières et de réaliser la consultation nationale sur la base du "suffrage égal pour tous les hommes dès l’âge de la maturité requise pour l’exercice des droits civils".
Les premières élections au suffrage universel masculin, à partir de 21 ans, ont lieu le 16 décembre 1919, avant même que la Constitution n’ait été modifiée. L’adoption d’une simple loi électorale permet, le 16 décembre 1919, à tous les hommes âgés de 21 ans au moins, de disposer d’une voix en attendant la révision de l’article 67 de la Constitution qui intervient le 7 février 1921.Paradoxalement, si les femmes sont encore, en principe, exclues des bureaux de vote, certaines sont cependant éligibles et certaines femmes disposent toutefois du droit de vote intégral dans la mesure où elles représentent la voix d’un homme mort pour la patrie.
1° Les veuves non remariées des militaires morts au cours de la guerre, avant le 1er janvier 1919, et, à leur défaut, leurs mères, si celles-ci sont veuves; de même que les mères veuves de ces citoyens célibataires.
2° Les veuves non remariées de citoyens belges fusillés ou tués par l’ennemi au cours de la guerre, et, à leur défaut, leurs mères si celles-ci sont veuves ; de même que les mères veuves de ces citoyens célibataires.
3° Les femmes condamnées à la prison ou détenues préventivement au cours de l’occupation ennemie, pour des motifs d’ordre patriotique.
Le 10 août 1914, les armées allemandes envahissent la Belgique. Après une résistance acharnée, les troupes franco-belges doivent reculer et se replient derrière la Marne et l'Yser. Toutes les mines belges sont occupées et travaillent pour pour l'ennemi. 31 août 1914 : une patrouille allemande arrive devant l'Hôtel de Ville de Lens. C'est le début de la première guerre mondiale.
Dés le mois d'octobre, une ligne de tranchées traverse le bassin.
Les mines occupées, très vite endommagées par les bombardements, connaissent une extraction très ralentie avant d'être complètement détruites par les Allemands en 1918.Les mines non occupées assurent quant à elles, malgré des bombardements continuels, une production record pour répondre aux besoins du pays. La production passe à Noeux-les-Mines de 4000 tonnes par jour en 1913 à 5000 tonnes en 1915, pour en arriver à 9000 tonnes en 1918. A Bruay, on passe de 2 700 000 tonnes en 1913 à 4 504 000 tonnes en 1917.
Mais pour le pays minier, les conséquences de la guerre sont dramatiques. Partout, sauf dans la partie la plus occidentale du bassin, celle qui s'étend de Ligny-les-Aire à Béthune, d'innombrables séquelles d'une lutte sans merci attestent de l'âpreté des combats, de la malice de l'envahisseur et de l'étendue du désastre.
Lorsqu’en 1918, les Allemands reculent sous la pression des troupes alliées, ils dynamitent les puits et détruisent les pompes.
Le même puits avant et après la guerre 14-18.
A la fin du conflit, des images aériennes sont enregistrées pour l’Histoire, il ne reste plus rien de la grande ville minière de Lens.
Installations dynamitées.
Au fond, 100 millions de mètres cubes d'eau, soit le débit de la Seine à Paris durant trois mois d'été, ont inondé des milliers de kilomètres de galeries, désormais inaccessibles. En surface, dans 103 fosses sinistrées, règnent désolation et chaos. Au milieu des ferrailles déchiquetées, parmi les tranchées bouleversées et les abris effondrés, des cratères remplis d'eau et de débris divers sont le plus souvent les témoignages dérisoires de la présence des puits et des chevalements qui, quelques années auparavant, étaient les symboles de la vitalité industrielle de la région.
Atterrés, mais non découragés, les témoins de cette tragédie savent déjà que le montant des dégâts peut être évalué à plus d'un milliard de francs or et que la production de houille qui était supérieure à 27 millions de tonnes à la déclaration de la guerre n'atteindra pas 8 millions de tonnes en 1918.
En 1919, le charbon manque.
On répare sans interruption, on prévoit des installations provisoires. Il faut rétablir aussi rapidement que possible la situation d'avant-guerre et même la dépasser... Il faut tout reconstruire : les maisons mais aussi les puits et les carreaux de mine pour pouvoir recommencer à produire. La France a besoin de charbon pour relancer un appareil industriel et économique particulièrement touché. Mais la France compte ses morts et ses blessés. La grande saignée de 1914 prive de bras les bassins miniers du Nord et de Lorraine.L'Allemagne et la Belgique faisaient déjà partie des régions industrielles pilotes d'Europe occidentale avant d'acquérir respectivement leur indépendance nationale. Tant dans la Ruhr qu'en Wallonie se développa, sous l'égide de magnats de l'industrie comme Cockerill et Krupp (pour ne citer que ces deux noms), une concentration industrielle inimaginable auparavant, qui s'implanta là où se trouvaient les gisements houillers. Ainsi des régions autrefois agraires se transformèrent rapidement, des localités à caractère rural se métamorphosèrent fondamentalement par l'afflux d'une main-d'œuvre étrangère à la région. Mais ça ne suffit plus.
Suivez la suite de
l'histoire du Peuple de la mine sur :
Carbonifère : Le peuple de la mine (7)
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