Géomorphologie 5
1. Le relief 2. L'érosiona) L'érosion sur les interfluves, ou érosion aréolaire3. Roches et modelé1°. La désagrégation thermique 2°. La désagrégation mécanique 3°. L'oxydation 4°. L'hydratation 5°. La dissolution 6°. L'hydrolyse 7°. Le rôle des organismes vivantsb) Les mouvements des débris1°. Sur les versants rocheux 2°. Sur les versants non rocheuxc) L'érosion par les eaux courantes, ou érosion linéaire1°. Les torrents 2°. Les autres cours d'eaud) L'érosion par les eaux souterraines
a) Les roches sédimentaires4. Roches et relief volcaniques1°. Les roches sédimentaires meublesb) Les roches éruptives c) Les roches métamorphiques2°. Les roches sédimentaires cohérentes1°. Les dômes 2°. Les filons 3°. Le granité 4°. Les diorites 5°. Les micaschistes 6°. Les gneiss 7°. Les leptynites
a) Introduction b) Les boucliers et plateaux de laves c) Les trapps d) Les volcans stromboliens e) Les volcans d'explosion5. Relief et structure1°. Le type vulcanien 2°. Le type ignimbritiquef) Les formes volcaniques particulières
a) Les structures tabulaires b) Le relief de cuesta c) Les structures plissées d) Les structures faillées e) Les contacts6. L'évolution du relief1°. Les contacts sans faille 2°. Les contacts avec faille
a) La théorie du cycle d'érosion de Davis b) La succession des cycles d'érosion c) Critique de la théorie davisienne. Nouvelles théories de remplacement. Introduction à la géomorphologie climatique7. Les paysages glaciaires
a) Introduction b) Les divers types de glaciers c) Le travail de la glace d) Les formes glaciaires8. Les paysages périglaciaires
a) Caractères et domaines du gel9. les paysages arides1°. Intensité et durée 2°. Régions affectées 3°. Processus d'action du gel 4°. Formes de ségrégation de la glace 5°. Le rôle du gel 6°. Les processus du dégel et de la fonte des neiges 7°. Rôles du ruissellement et du vent 8°. Les formes dues aux processus périglaciaires 9°. Le réseau hydrographique
a) L'action érosive du vent b) La désagrégation mécanique c) Le paysage désertique10. Les paysages tropicaux humides
a) Le modelé de la forêt dense b) Le modelé des savanes c) Formes d'aplanissement11. Les paysages littoraux
a) Processus subaériens b) La plage12. Les applications de la géomorphologie
Le propre de la géomorphologie est d'observer, de décrire et d'expliquer les différentes formes du relief, qu'il est possible de définir comme l'ensemble des saillies de l'écorce terrestre. Les forces constructrices, dites forces tectoniques, et les éruptions volcaniques édifient le relief, sur lequel s'exerce
l'érosion ; celle-ci se traduit par l'enlèvement et l'accumulation de matériaux et agit en fonction de la nature des roches (facteurs lithologiques), de l'agencement des terrains (facteurs structuraux) et de l'aire d'action (facteurs climatiques).La structure correspond à l'organisation des roches dans l'écorce terrestre. On distingue d'une part les structures massives, notamment dans les roches éruptives de massif, et, d'autre part, les structures sédimentaires, dont la disposition des couches permet d'étudier les déformations.
Les déformations de l'écorce terrestre sont classées en deux types : les déformations souples, observées uniquement dans les roches sédimentaires, et qui sont à l'origine des structures plissées ; les déformations brisantes, présentes dans toutes les roches, et qui donnent les structures faillées.
Les sédiments déposés dans les mers ou dans les lacs se présentent selon des couches le plus souvent horizontales si aucune déformation n'est venue les affecter. Sur ces couches, l'érosion se fait à partir du réseau fluvial, qui s'encaisse dans les roches dures ou s'élargit dans les roches tendres. Le profil longitudinal d'un cours d'eau présente ainsi une série de ressauts correspondant aux couches dures et une série de biefs calmes liés aux couches tendres. Le profil des versants montre une succession de corniches (couches dures) et de banquettes (couches tendres) quand les couches sont épaisses. Il est plus rectiligne quand les bancs sont plus minces. Le réseau hydrographique est inséquent : il ne présente pas de direction particulière puisque les couches sont horizontales. Une déformation de grande ampleur ou un basculement entraînent l'inclinaison des couches.
L'érosion est à l'origine d'un relief dissymétrique : le relief de cuesta.
Le relief de cuesta comprend un front formé par un abrupt lié à la couche dure, une dépression située au pied de l'abrupt appelée dépression subséquente, et un revers qui correspond généralement à la couche dure. Le front présente un profil latéral différencié : la partie supérieure est une corniche, tandis que la partie inférieure est un talus concave. Le profil longitudinal est généralement régulier, interrompu par endroits par les percées des cours d'eau conséquents, qui suivent le pendage général des couches. Le front est fréquemment précédé de buttes, restes de l'ancienne extension de la cuesta. Couronnées de couche dure, il s'agit de buttes témoins.
Deux représentations du relief de cuesta
Il existe différents types de cuestas. Si la différence de dureté entre les deux couches est grande, la cuesta est bien marquée dans le paysage avec une corniche très vive. Si cette différence est faible, la cuesta est peu nette avec un profil convexo-concave. Le profil longitudinal est très rectiligne quand une couche dure épaisse surmonte une couche tendre mince ; par contre, si une couche dure mince repose sur une couche tendre épaisse, le tracé est sinueux, la couche dure étant attaquée rapidement. Le réseau hydrographique comprend des cours d'eau qui coulent dans le sens du pendage des couches (cours d'eau conséquents), parfois dans le sens opposé (cours d'eau obséquents), et plus rarement au pied du front (cours d'eau subséquents). Les cours d'eau obséquents posent un problème car ils coulent dans le sens opposé au pendage. Ils ne sont par conséquent pas adaptés à la structure. Il existe deux cas d'inadaptation à la structure : la surimposition, où le cours d'eau s'établit sur une surface ou des dépôts masquant le relief sous-jacent, et \'antécédence, où le cours d'eau s'établit alors que le relief n'est pas encore érigé. La surimposition et l'antécédence sont des phénomènes dits épigéniques.
Les déformations les plus courantes affectant les couches sédimentaires sont les plis, définis comme les ondulations d'une couche de forme et d'ampleur variables. Lorsque ce sont les couches les plus anciennes qui se trouvent au cœur du pli (noyau), le pli est un anticlinal; quand ce sont les couches les plus récentes, le pli est synclinal.
Anticlinal de la presqu'île de Crozon
Synclinal de Waulsort
Le plan axial du pli est le plan de symétrie qui le divise en deux parties égales. La charnière est l'intersection du pli avec le plan axial : si elle se trouve au point le plus élevé du pli, elle forme sa crête (cependant, charnière et crête ne coïncident pas toujours). L'axe du pli est la ligne d'intersection du plan axial avec le plan horizontal : les flancs sont les parties du pli qui plongent de part et d'autre du plan axial. L'altitude de l'axe varie le long du pli : il peut s'abaisser (ensellement) ou se relever (surélévation). Le pli se termine dans la direction de son axe par une terminaison périclinale, qui correspond soit à la retombée de l'anticlinal, soit au relèvement de l'axe synclinal. On distingue différentes sortes de plis en fonction de leurs dimensions, formes et origines. Si la longueur du pli est voisine de sa largeur, le pli est brachyanticlinal ou brachysynclinal. Si le plan axial est vertical, le pli est dit droit. Le pli coffré offre une crête plane et des flancs verticaux. Si le plan axial est dissymétrique, les plis sont déjetés, en genou, déversés ou couchés. L'érosion attaque les plis. Si l'anticlinal est conservé, il correspond à des voûtes appelées monts. Si le synclinal reste intact, il donne naissance à des berceaux appelés vaux.
Les plissements
— L'attaque peu avancée de l'érosion est à l'origine d'un type particulier de relief, le relief jurassien. Ce relief est caractérisé par la combe, dépression formée au sommet de l'anticlinal, le crêt, qui représente la couche dure de l'anticlinal de chaque côté de la combe, et la cluse, passage d'un cours d'eau perpendiculaire au mont. L'attaque plus avancée de l'érosion entraîne l'inversion du relief plissé :en effet, les anticlinaux, par élargissement des combes, sont évidés et dominés par les synclinaux qui se trouvent ainsi perchés. L'érosion finit par mettre sur un même plan anticlinaux et synclinaux qui sont alors arasés.
— Si l'érosion reprend, elle donne naissance au relief appalachien : les roches dures situées à une même altitude constituent les sommets de ce relief, tandis que les roches tendres sont creusées en sillons. Le réseau hydrographique des régions plissées présente un tracé en baïonnette : les sections adaptées des cours d'eau coulent dans les vaux, les secteurs inadaptés parcourant les cluses. Celles-ci sont dues aux captures et aux phénomènes épigéniques. Le plus souvent, elles correspondent à des ensellements. Elles peuvent être fonctionnelles ou mortes : dans ce dernier cas, elles sont appelées wind-gaps.
Les régions faillées sont affectées par trois types d'accidents structuraux : la flexure, brusque ployage avec étirement des couches, la fracture, correspondant à une cassure sans dénivellation tectonique, et la faille, cassure à laquelle est liée une dénivellation tectonique.
La faille est le plus caractéristique des accidents. Elle est définie par son rejet, mesure de la dénivellation, son regard, côté vers lequel est situé le bloc affaissé, sa direction et son tracé. Le découpage d'une région par des failles montre le plus souvent des blocs surélevés, appelés horsts, et des compartiments affaissés, \esfosses d'effondrement. Les lignes de failles, qui présentent généralement des formes géométriques, se groupent parfois pour donner une mosaïque de blocs et se relaient plus ou moins en enfilades. Dans le paysage, la faille engendre un relief ou ne donne pas d'abrupt. L'absence d'abrupt s'explique soit par le nivellement du bloc soulevé, surtout s'il est formé de roches tendres, soit par le remblaiement du bloc affaissé jusqu'au niveau du compartiment surélevé. Toutefois, en règle générale, les failles donnent naissance à des escarpements : si ceux-ci résultent directement de la dislocation verticale, l'érosion n'intervenant que pour les abaisser ou pour les faire reculer sans jamais les faire disparaître, ils sont appelés escarpements de faille. Quand l'escarpement est dû à l'action exclusive de l'érosion le long de la ligne de faille, il est appelé escarpement de ligne de faille.
Faille normale
Faille inverse
Faille sur le terrain dans une carrière
Le
réseau hydrographique adapté aux structures taillées concerne les cours d'eau qui s'installent à l'emplacement de la ligne de faille (la vallée est alors appelée vallée de ligne de faille). Il concerne également les cours d'eau parcourant les fossés d'effondrement. Quand une rivière passe d'un fossé sur le compartiment surélevé voisin, elle est inadaptée et son tracé s'explique soit par antécédence, soit par surimposition, soit encore par les deux phénomènes réunis.Au contact des bassins sédimentaires et des massifs anciens, il existe des types de relief particuliers. Le passage des couches d'un bassin sédimentaire au socle a lieu à travers une discordance. La couverture sédimentaire est dite discordante par rapport au socle parce qu'elle repose sur une surface tranchant les anciennes racines de la chaîne érodée qui a donné naissance au socle. Deux grands types de contacts peuvent être distingués : les contacts sans faille et les contacts avec failles.
— Les contacts sans failles se divisent en plusieurs sous-types. Il y a contact en glacis lorsque le passage du massif ancien à sa couverture sédimentaire discordante est en continuité topographique. La surface du massif ancien est basculée, et les couches sédimentaires vont en s'épaississant vers l'extérieur. Le contact par dépression périphérique présuppose que la surface du massif ancien est basculée, qu'il existe un binôme constitué d'une couche tendre surmontée d'une couche dure, et que cette dernière est tranchée en cuesta au-dessus de la dépression. Lorsque la surface du massif ancien n'est pas basculée, le rebord de la couverture sédimentaire restée quasi horizontale est appelé glint : c'est un contact par glint.
— Les contacts avec failles sont les plus fréquents mais toutes les failles bordières n'apparaissent pas dans la topographie. Quand le relief de contact est directement lié aux failles, il s'agit le plus souvent d'un contact par escarpement de ligne de faille ou d'un contact par vallée de ligne de faille.
Le contact d'une chaîne alpine et d'une plaine subalpine donne également des formes particulières : les formes de piedmont. Un modelé de piedmont s'élabore en avant d'une montagne qui s'élève au-dessus d'une plaine par le jeu d'une faille ou flexure unique, véritable front au contact de la plaine. L'érosion intense qui s'exerce sur la montagne en voie de surrection fournit des matériaux qui s'accumulent au pied de la montagne à l'air libre, sous les eaux lacustres ou marines. La surrection de la chaîne s'accompagne d'une subsidence, les matériaux où prédominent les faciès grossiers étant entassés sur des centaines ou des milliers de mètres (à l'échelle des temps géologiques), l'avant-pays ou piedmont peut être incorporé à la chaîne; les sédiments détritiques sont alors à leur tour plissés.
Le piedmont, lorsqu'il apparaît à l'air libre, donne un paysage de croupes. Les rivières sortant de la montagne y déposent leur forte charge et créent des glacis alluviaux appelés piedmonts alluviaux.
Dans le cas d'un encaissement des cours d'eau, par suite d'une surrection, d'un changement de niveau de base ou d'une fluctuation climatique, le piedmont est découpé en lanières; c'est alors un piedmont à serres.
Si les interfluves sont plus larges, un relief de plateau apparaît. L'élargissement des vallées conduit à la destruction du piedmont et à l'élaboration d'une plaine d'
érosion.Les différents éléments présentés précédemment sont trop épars pour permettre de comprendre l'évolution des paysages de la Terre. Aussi la nécessité d'une synthèse fut-elle ressentie depuis longtemps par les géo-morphologues.
A la fin du XIXe siècle, l'Américain W.M. Davis élaborait une théorie cohérente, la théorie du cycle d'érosion, qui connut un véritable succès. De nombreuses critiques lui ont été adressées depuis, mais son influence reste grande chez de nombreux géomorphologues. Il est donc nécessaire de l'exposer avant d'aborder les nouvelles orientations de la géomorphologie.
Le cycle d'érosion comprend une longue phase d'érosion à laquelle succède un brusque rajeunissement. La phase d'érosion se décompose en plusieurs stades : la jeunesse, la maturité et la vieillesse. Le phénomène commence dans une région soulevée uniformément par rapport au niveau de base. Les fleuves et les rivières doivent s'encaisser près de l'embouchure car la pente a augmenté; l'érosion remonte ensuite vers l'amont (érosion régressive) ; les lits des cours d'eau et les versants subissent une forte érosion : c'est le stade de la jeunesse. Puis le profil du cours d'eau se régularise, l'érosion aréolaire devient égale à l'érosion linéaire, et le réseau hydrographique se hiérarchise : c'est le stade de la maturité. Lors du dernier stade, dit de la vieillesse, le sommet des croupes se rapproche de l'altitude des talwegs sans jamais l'atteindre, car les débris doivent toujours être évacués.
Cependant si, parvenue à ce stade de l'évolution, la région est brusquement soulevée par des mouvements tectoniques, si le niveau de la mer s'abaisse (mouvement eustatique), le creusement peut reprendre. Dans ce cas, la région est à nouveau au stade de la jeunesse. Le cycle d'érosion présuppose les conditions de l'érosion dite érosion normale. L'érosion normale est celle qui est commandée par les eaux courantes, l'évolution des talwegs déterminant toute la morphogenèse (création ou évolution des formes du relief). L'eau courante apparaît, selon Davis, comme le seul véritable facteur du modelé des continents, tous les autres systèmes étant loin d'avoir la même importance : l'action des glaces aux hautes latitudes, ou celle du vent dans les régions arides, ne s'exercent que sur des portions limitées de la surface de la Terre. Lorsque ces systèmes d'érosion, à la suite d'une oscillation climatique, mordent sur les régions d'érosion normale, ils représentent seulement des accidents que le retour à « la normale » tend à effacer. L'érosion chimique ne s'exerce que dans certains pays où le sous-sol offre des conditions favorables. L'érosion marine se borne à faire reculer les rivages sans influer sur le relief continental.
Le cycle d'érosion tel qu'il a été défini réalise une pénéplaine, où le relief est réduit à une surface sans grandes dénivellations. Son élaboration nécessite un temps très long (sans doute plusieurs millions d'années si les roches sont de résistance moyenne), et cela à condition qu'aucun accident n'ait perturbé l'évolution du cycle. Les pénéplaines présentent parfois dans les régions tempérées des reliefs résiduels sensibles, appelés monadnocks : il s'agit de buttes surbaissées qui raccordent progressivement à la base de la surface de la pénéplaine. Leur conservation au-dessus de la surface générale d'érosion s'explique soit par la dureté des roches qui les constituent (monadnocks de résistance), soit par leur situation sur la ligne de partage des eaux (monadnocks de position). Sous climat tropical, les topographies d'érosion, plus parfaitement réalisées que sous climat tempéré, forment de véritables plaines d'érosion (pédiplaines) qui portent aussi des reliefs résiduels, plus vigoureux, aux versants souvent abrupts : les inselbergs. Le niveau de base actuel s'étant fixé à une époque récente, lors de la transgression flandrienne il y a environ 10000 ans, il n'existe pas de pénéplaines en rapport avec le niveau actuel. Les portions de pénéplaines qui subsistent sont des surfaces anciennes conservées. Pour les dater, on dispose de différents éléments : une surface qui nivelle des blocs dénivelés par une phase tectonique est postérieure à cette phase; une surface est plus ancienne que les dépôts qui reposent sur elle sauf si ces dépôts sont des dépôts d'altération contemporains de l'élaboration de la pénéplaine, auquel cas la pénéplaine est de même âge que les dépôts d'altération.
La plupart des topographies ont été modelées par une succession de cycles d'érosion; toutefois, les traces des plus anciens cycles n'ont pas été effacées par les plus récents. Un nouveau cycle est déclenché à la suite d'un mouvement relatif du niveau de base, qu'il soit positif ou négatif.
Lors d'un mouvement positif, une partie du continent est submergé, la pente du cours d'eau diminue vers l'aval, et les cours d'eau remblaient leur cours en progressant vers l'amont. Le cycle est alors un cycle de remblaiement.
Lorsque le mouvement est négatif, c'est le contraire qui se produit : les cours d'eau s'encaissent à l'aval, puis l'encaissement progresse vers l'amont. C'est alors un cycle de creusement.
L'alternance des cycles de remblaiement et de creusement successifs est à l'origine de formes d'étagements du relief : le relief est dit polycyclique. Il faut néanmoins nuancer cette affirmation : la succession des cycles peut donner, dans certains cas, des surfaces en continuité les unes des autres : de telles surfaces sont dites polygéniques. Dans les régions affectées au cours d'une longue histoire géologique par des mouvements très lents, une même surface peut se conserver, sans cesse retouchée par les cycles successifs mais par une érosion modérée : une telle surface est dite surface de regradation.
Les formes polycycliques se reconnaissent dans les profils en long et en travers des vallées. Lors d'un cycle de creusement, la vague d'érosion régressive laisse coexister le long d'un même cours d'eau des tronçons façonnés par le cycle en cours et des tronçons issus du modelé antérieur. Sur le profil en long, cela se traduit par une rupture de pente au point où la vague cyclique est parvenue. Sur le profil en travers, une gorge d'érosion régressive s'inscrit dans la surface cyclique antérieure, la forme récente étant littéralement emboîtée dans la forme ancienne.
Les versants présentent également des ruptures de pente au contact des deux cycles, appelées épaulements. (le même nom s'applique également lorsque la gorge régressive s'inscrit non dans une ancienne vallée alluviale mais dans une surface d'érosion du cycle précédent). L'ancien fond alluvial qui domine le nouveau talweg constitue une terrasse. Si le lit abandonné conserve une couche plus ou moins épaisse d'alluvions recouvrant le substratum de roche en place, il s'agit d'une terrasse alluviale. Lorsque la pellicule alluviale fait défaut, il s'agit d'une terrasse rocheuse. La succession des cycles de creusement et d'alluvionnement donne deux types de terrasses : des terrasses étagées, qui ont un substratum et un talus de roche en place et sur lesquelles reposent ou non des alluvions (terrasses de la Garonne), et qui sont les plus répandues; des terrasses emboîtées, sculptées dans la masse des alluvions superposées.
La succession des cycles de creusement et d'alluvionnement donne deux types de terrasses : des terrasses étagées et des terrasses emboîtées, moins répandues. Ici les terrasses du Rio Veral (Espagne)
La succession des formes d'étagement et d'emboîtement dans le relief permet d'étudier et de reconstituer l'histoire morphogénétique d'une région. Toutefois, l'utilisation de la théorie cyclique de Davis pour expliquer ces formes s'est traduite bien souvent par de véritables aberrations, qui ont conduit à la critique de cette théorie.
c) Critique de la théorie davisienne. Nouvelles théories de remplacement. Introduction à la géomorphologie climatique
Les premières critiques formulées à l'égard de la théorie davisienne ont un point de départ commun : la remise en question de l'hypothèse que les périodes de stabilité génératrices de surfaces d'érosion sont longues et que les changements de niveau de base sont des périodes très brèves.
Prenant le contre-pied de Davis, les géographes allemands A. et W. Penck ont tenté de prouver que les surfaces d'érosion pouvaient se développer indépendamment d'un niveau de base fixe, donc hors des périodes de stabilité. Dans la théorie du niveau des crêtes (Ginfelflur en allemand), A. Penck s'inscrit en faux contre la théorie de Davis qui supposait que les indices d'une ancienne planation étaient fournis par la présence d'une série de crêtes culminant à des niveaux sensiblement égaux; il démontre que cette subégalité peut être réalisée dans une montagne en pleine surrection. Les cours d'eau de bassins sensiblement comparables s'enfonçant à une vitesse égale lors d'un creusement consécutif à une surrection, les crêtes formés par le recoupement des versants ont une altitude comparable.
Le fils d'A. Penck, W. Penck, a tenté de démontrer que les surfaces d'aplanissement pouvaient se réaliser en même temps que des mouvements tectoniques et a ainsi élaboré la théorie des plates-formes de piedmont (Piedmonttreppen en allemand), théorie abandonnée depuis.
— Par-delà ces critiques théoriques, des auteurs se sont plus spécialement attachés au rejet de l'explication de certaines formes de relief selon la théorie de Davis.
L'érosion régressive ne se transmet pas, comme le supposait Davis, jusque sur le cours supérieur, la puissance de creusement dans la gorge régressive s'accompagnant d'un plus fort apport de débris en provenance des versants; la charge des cours d'eau devient plus importante, et donc le cours d'eau devient moins érosif vers l'amont. Les terrasses fluviatiles ne peuvent s'expliquer uniquement par des changements de niveau de base ; il faut faire intervenir des mouvements tectoniques régionaux et surtout des changements climatiques qui influent sur la charge des cours d'eau et leur puissance érosive. C'est ainsi que les alternances d'alluvionnement et d'incision résultent des changements liés aux crises climatiques du Quaternaire. Les périodes de rhexistasie sont les moments d'usure des versants, la couverture végétale étant en régression sous l'effet de causes tectoniques, climatiques ou anthropiques. Les cours d'eau ont alors une charge grossière, formée par les matériaux issus des versants, et leur puissance de creusement diminue : c'est une phase de remblaiement. Lors d'une phase de stabilité biologique, pendant laquelle se réalise sous couvert forestier une altération sur place sans apport (hormis les apports solubles) d'éléments de charge au cours d'eau, il y a biostasie. Les cours d'eau, moins chargés, peuvent alors être érosifs. Le modelé des pénéplaines ne peut s'expliquer qu'en faisant intervenir des processus étrangers à l'érosion fluviatile, tel le sheet-flood (ruissellement en nappe) observé dans les régions arides et tropicales.
— Ensuite et surtout, les critiques ont été adressées au postulat de l' « érosion normale ». La morphologie de la zone tempérée, attribuée à l'érosion fluviatile par Davis, est devenue la « morphologie normale ». Or, les recherches ont montré que l'érosion normale agit très faiblement sous le climat tempéré et qu'elle est ralentie par le tapis végétal. On n'observe nulle part une région évoluant vers la planation fluviatile; l'évolution est arrêtée. Les reliefs de la zone tempérée sont en fait, pour l'essentiel, l'héritage de périodes anciennes dont le climat était différent de l'actuel. Ainsi, seule l'étude des paléoclimats peut permettre de comprendre la majorité des formes de la zone tempérée. Contrairement à ce qu'affirment les hypothèses de Davis, les mécanismes morphogénétiques propres au climat tempéré apparaissent donc maintenant comme des facteurs de faible ampleur comparés à ceux des climats aux types de temps antinomes actuels (climat polaire, équatorial, etc.), et surtout comparés aux types de temps, plus fortement antinomes encore, des paléoclimats.
Le postulat de l'érosion normale se révélant faux, l'explication des formes de relief doit s'insérer dans un cadre différent de celui proposé par Davis. Synthèse prématurée, la théorie davisienne ne s'était pas attachée à une analyse suffisante des différents facteurs qui modèlent le relief.
— Enfin, à l'élaboration théorique de Davis se substitue une étude des facteurs de diff
érenciation morphoclimatique.—
La notion de "zone" apparaît en géomorphologie : est qualifié de zone tout phénomène ou processus qui se répartit à la surface du globe de manière grossièrement conforme à la latitude. Chacune de ces zones constitue une zone morphoclimatique. Le relief doit alors ses traits caractéristiques à son élaboration dans un milieu particulier (par exemple, l'inlandsis de climat polaire). Certains phénomènes sont néanmoins azonaux (mondiaux), par exemple, les formes volcaniques, la répartition des eaux courantes; c'est ce qui a conduit Davis à croire qu'elles étaient le facteur essentiel du modelé mondial. Enfin, les phénomènes extrazonaux sont des mécanismes caractéristiques d'une zone qui se manifestent dans une autre zone de manière sporadique; citons les glaciers sous l'équateur et les phénomènes périglaciaires qui les accompagnent.Le caractère zonal de certaines formes du relief étant admis, il importe d'établir ses conséquences dans les grandes zones morphoclimatiques et d'étudier les paysages glaciaires, périglaciaires, arides et tropicaux. L'étude des paysages littoraux, enfin, permettra l'approche des combinaisons des phénomènes zonaux et extrazonaux.
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